airelibre

Wednesday, May 27, 2009

Les faux scoops du Spiegel

Tout d’abord, il ne faut pas perdre de vue une donnée importante : le magazine allemand « Der Spiegel » est inconditionnellement pro-israélien et incurablement anti-arabe. Les « scoops » liés aux turbulences politiques du Moyen-Orient qu’il sert à ses lecteurs sont empoisonnés, dangereux et pourraient engendrer des drames dont la région n’a nul besoin.
Dans son édition du 24 octobre 2005, ce magazine avait publié un article sous la signature du journaliste Erich Follath, accusant des officiels syriens d’être derrière l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais, Rafik Hariri. Le signataire de l’article affirmait détenir les preuves de ses allégations, et citait notamment un rapport de l’ONU qui, selon lui, était accablant pour la Syrie.
A l’époque, le « scoop » du Spiegel avait été exploité par l’administration de George W. Bush et par Israël pour intensifier leur campagne contre la Syrie. Bush ne pouvait s’empêcher de sauter sur l’occasion pour accabler Damas et l’accuser de tous les maux. Sans doute avait-il un pressant besoin de se consoler de sa frustration de n’avoir pu envahir la Syrie après l’Irak pour cause d’engluement dans les sables mouvants mésopotamiens. Quant à Israël, c’est normal, toute information contre la Syrie, peu importe qu’elle soit vraie ou fausse, est bonne à prendre et à exploiter.
Seulement, ce « scoop » servi par le Spiegel à Bush et à Israël s’est révélé être une fausse information, de l’intox qui a largement couvert par son caractère propagandiste les protestations de Damas et ses tentatives de se disculper de la grave accusation portée contre elle par le magazine germanique. Finalement, le tribunal pénal international chargé du dossier Hariri n’avait trouvé aucun élément matériel corroborant les accusations du Spiegel et la Syrie et ses dirigeants furent blanchis. Il est vrai que le magazine allemand avait bénéficié d’un contexte anti-syrien à l’époque, fortement exacerbé par un enquêteur qui ne brillait pas par son impartialité, Detlev Mehlis, allemand lui aussi, et qui, après avoir accumulé les accusations sans preuves contre la Syrie, avait dû démissionner et quitter le Liban sur la pointe des pieds.
Non seulement « Der Spiegel » n’a fait aucun mea culpa, mais, sans transition aucune et près de quatre ans plus tard, il récidive en publiant un autre « scoop » signé par le même journaliste, Erich Follath, accusant cette fois le Hezbollah libanais. Dans l’édition du 24 mai 2009 du Spiegel, on lit la manchette suivante : « Percée dans l’enquête du tribunal : une nouvelle preuve met en cause le Hezbollah dans le meurtre de Hariri ». L’auteur de l’article, Erich Follath écrit : « Il y a des signes que l’enquête est arrivée à de nouveaux résultats explosifs. Le Spiegel a recueilli de sources proches du tribunal des informations, vérifiées à travers l’examen de documents internes, selon lesquelles l’affaire Hariri est sur le point de prendre un tour sensationnel. Les investigations intensives menées au Liban ont toutes abouti cette fois à une nouvelle conclusion : ce sont les forces spéciales du Hezbollah qui ont planifié et exécuté le meurtre de Hariri en février 2005 ».
On est donc édifié. Après nous avoir assuré en 2005 que « les forces spéciales syriennes étaient derrière l’assassinat de Rafik Hariri », le Spiegel change son fusil d’épaule et nous assure aujourd’hui que « ce sont les forces spéciales du Hezbollah qui ont planifié et exécuté le meurtre de Hariri. »
Il est irresponsable de publier un article d’une gravité telle qu’il pourrait plonger le Liban dans une guerre civile, sur la base de « signes », de mystérieux « documents internes » et de « sources proches du tribunal » non identifiées. Pas le moindre élément de preuve matérielle n’a été présenté par Erich Follath pour soutenir ses nouvelles accusations, et son article d’aujourd’hui n’est pas plus crédible que celui d’octobre 2005 accusant les « forces spéciales syriennes ».
La classe politique libanaise, toutes tendances confondues, a senti le coup fourré et a mis en garde contre les dangers que pourrait constituer pour le Liban ce genre de littérature douteuse que le Spiegel se permet de publier. Du gouvernement libanais, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Faouzi Salloukh, à Hassan Nasrallah en passant par Walid Joumblatt et Nabih Berri, tous ont dénoncé avec plus ou moins de virulence l’article du Spiegel.
Reste à savoir pourquoi le magazine allemand s’est-il permis de publier un tel article à ce moment précis ? Il y a tout d’abord les élections législatives libanaises prévues pour le 7 juin prochain. Il n’est pas exclu que toutes les parties qui se trouvent derrière la conception du « scoop » du Spiegel soient animées par le désir d’influer sur les résultats des élections libanaises qui s’annoncent aussi serrées que cruciales.
Ensuite la publication de l’article du Spiegel coïncide avec le démantèlement au Liban d’un réseau d’espionnage lié à Israël. Le très pro-israélien Spiegel pourrait aussi avoir été animé par le désir de détourner l’attention libanaise et internationale de ce scandale embarrassant pour Israël. Entre amis, on s’aide comme on peut.
Enfin, si l’article pouvait contribuer à déclencher une guerre civile au Liban, le Spiegel, en serviteur inconditionnel d’Israël, n’aurait sûrement pas de remords particuliers. Cette guerre civile, il faut le rappeler, est un objectif stratégique d’Israël. Un désordre continu au Liban et une discorde permanente entre les Libanais sont dans l’intérêt bien compris d’Israël qui, depuis des décennies, et en dépit des guerres atroces et des invasions sanglantes, n’a jamais pu et ne pourra jamais soumettre le Liban à sa volonté.

0 Comments:

Post a Comment

<< Home