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Saturday, May 30, 2009

Base française à Abou Dhabi: Virage stratégique ou souci commercial?

Après avoir rejoint le commandement militaire intégré de l’Otan, que le général de Gaulle avait quitté il y a plus de quarante ans, la France vient de concrétiser une autre décision militaire d’importance : installer une base navale aux Emirats Arabes Unis. C’est la première fois depuis plus d’un demi siècle que Paris décide d’établir une présence militaire permanente en dehors de l’Afrique, sa zone d’influence traditionnelle.
Comme c’est le cas pour toute décision importante, la base d’Abou Dhabi, inaugurée le 25 mai par le président Sarkozy, ne fait pas l’unanimité au sein de la classe politique française. Si le ministre de la Défense, Hervé Morin, a défendu la décision en se félicitant de cette opportunité qui permet à la France de « retrouver toute sa place et toute son influence » dans la région du Moyen-Orient, François Bayrou, le chef du Modem (Mouvement Démocrate) a dénoncé lui « ce changement stratégique considérable » qui « signifie que la France peut se retrouver engagée dans un conflit sans l’avoir voulu ».
Mais au-delà des discours approbateurs ou désapprobateurs, la première base française dans le Golfe est déjà une réalité. Elle est le résultat logique, pourrait-on dire, de l’étroite coopération militaire entre les Emirats et la France qui dure depuis des années et qui a connu son apogée en 1995 avec la signature entre les deux pays d’un accord de partenariat stratégique.
Quatorze ans après cet accord, dont le contenu n’a jamais été rendu public, les deux pays ont signé, à l’occasion de l’inauguration de la base d’Abou Dhabi, baptisée « Camp de la paix », un nouvel accord dont l’une des clauses, selon le journal « Le Monde », engage la France « à porter secours aux Emirats Arabes Unis en cas d’agression ».
Pourquoi la France a-t-elle opté pour cette « réorientation stratégique majeure » qui l’a amenée à s’engager dans une zone désormais connue sous le vocable d’ « arc de crise » et qui s’étend de la Méditerranée au Hindu Kush, englobant des conflits multiformes majeurs d’une complexité telle que nul ne sait ni comment ils évolueront ni comment ils seront résolus ?
Un élément de réponse a été donné par le président Sarkozy pour qui la France est « une puissance globale », et par conséquent, elle ne peut se permettre de s’effacer face aux grandes convulsions qui secouent l’ « arc de crise » et dont les répercussions affectent la planète entière.
La question qui se pose ici est la suivante : « la puissance globale » qu’est la France a-t-elle mis en œuvre les moyens appropriés qu’exigent ses ambitions ? Plus concrètement, pour reprendre l’expression de M. Hervé Morin, la France a-t-elle retrouvé « toute sa présence et toute son influence » dans la région du Golfe-Moyen-Orient par le simple fait d’avoir établi une base de taille modeste et dont le nombre de soldats qui y seront affectés ne dépasse pas le demi millier ?
Il y a donc une disproportion entre le rôle que souhaite jouer la France, conformément à son statut de « puissance globale », et les petits moyens mis en œuvre dans le cadre de cette « réorientation stratégique majeure ». Certes, la France dispose d’une autre base à Djibouti, à l’embouchure de la mer rouge et de l’océan indien, et de deux autres à l’île de la Réunion et à Mayotte, plus au sud, au large de Madagascar. Mais même en les additionnant, ces moyens dispersés demeurent modestes par rapport aux grandes ambitions qu’affiche la France.
Compte tenu de cette inadéquation, il est donc difficile pour la France, en cas de crise majeure, de peser militairement sur le cours des événements. Dans un tel cas de figure, Paris est mieux armée, si l’on peut dire, pour s’engager dans des batailles diplomatiques que de participer dans des combats tendant à résoudre militairement les éventuelles crises majeures. N'oublions pas qu'en dépit de l'engagement de forces incomparablement massives, les Etats-Unis sont toujours englués dans les bourbiers irakien et afghan. Par conséquent, il est logique de dire que l’établissement d’une petite base navale à Abou Dhabi est plus le résultat d’une évolution normale de la longue et étroite coopération militaire entre la France et les Emirats Arabes Unis que d’ « un changement stratégique considérable ».
Mais par ces temps de vaches maigres, cette base du « Camp de la paix » pourrait jouer un autre rôle, vital pour l’industrie française d’armement, consistant à faire office de « vitrine » pour les produits de cette industrie. C’est ce qu’on apprend de « l’entourage du président Sarkozy », cité par l’Agence Reuters dans une dépêche datée du 26 mai dernier. En effet, selon l’entourage présidentiel, la base d’Abou Dhabi « a peut-être une vocation d’exposition de nos matériels ». On le croit volontiers quand on sait que le Golfe est l’une des régions où l’armement français se vend le mieux.
En fait, c’est cette vocation commerciale de la base qui intéresse au plus haut degré les fabricants français d’armement, à la tête desquels Dassault Aviation. Ces jours-ci, le célèbre fabriquant d’avions militaires doit vivre sous tension. Il sait que les Emirats s’apprêtent à remplacer leurs 63 vieux Mirage 2000. Dassault qui cherche encore désespérément à vendre à l’étranger le premier exemplaire de son nouvel avion de combat Rafale, désire évidemment rafler le marché. Si les négociations en cours sur ce sujet entre la France et les Emirats aboutissent, Dassault sera le premier grand bénéficiaire de cette vocation commerciale de la base d'Abou Dhabi.

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