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Wednesday, May 06, 2009

Le cadeau du juge Ellis au Lobby

Ils étaient des milliers, comme d’habitude, à se bousculer à la fête annuelle de l’AIPAC (American Israeli Public Affairs Committee) à Washington pour se faire voir, se faire remarquer et signifier, par leur présence et par leurs contributions sonnantes et trébuchantes, leur soutien à Israël. Car, celui qui a des ambitions et veut réussir une carrière politique n’a vraiment aucun intérêt à se signaler par son absence aux forums rituels du tout puissant Lobby.
Parmi ces milliers de personnes, il y avait les représentants de 66 pays (diplomates accrédités à Washington) et plus de la moitié des membres du Congrès. Il est extraordinaire que 66 pays à travers le monde éprouvent le besoin d’envoyer leurs représentants partager la fête d’un Lobby, un groupe de pression dont la responsabilité est établie dans l’instabilité qui règne au Moyen-Orient pour avoir poussé à de nombreuses guerres, dont les deux dernières, celle contre le Liban en 2006 et celle contre Gaza au début de cette année. Sans oublier l’opposition systématique de l’AIPAC à toute initiative de paix basée sur l’évacuation des territoires occupés.
Pire encore, la justice américaine n’a rien trouvé de mieux à faire que de clore le dossier de deux personnages de premier plan du Lobby, Steve Rosen et Keith Weissman, après avoir été accusés d’espionnage en faveur d’Israël, de manière à leur permettre d’assister libres et blanchis à la fête du Lobby qu’ils président.
Pourtant, ce qu’ont fait ces deux là est passible d’une peine de plusieurs années de prison. Et l’acte aurait mené tout droit en prison, s’il avait été commis par n’importe quel citoyen américain ou étranger qui ne soit pas protégé par le puissant groupe de pression israélien.
Steve Rosen et Keith Weissman étaient inculpés en 2005 du crime d’espionnage après s’être procuré des informations hautement confidentielles du Pentagone concernant l’Iran qu’ils avaient livrées à Israël. Quatre ans de pressions continues ont fini par forcer la justice américaine à jeter l’éponge et à classer un dossier solide contenant des crimes avérées et prouvées. Encore heureux que le Lobby n’ait pas exigé les excuses officielles du ministre américain de la justice…
Dans son compte rendu de l’affaire, le New York Times a écrit que le juge fédéral T.S. Ellis III a rendu la tâche du procureur pratiquement impossible en mettant la barre trop haut. Il a fait comprendre à l’accusation qu’elle n’aurait aucune chance de faire condamner Rosen et Weissman, si elle ne prouvait pas que ces deux là « savaient que la distribution de l’information mettrait en danger les intérêts américains. »
On reste sans voix. Voici une justice célèbre dans le monde entier pour son indépendance incontestable à l’égard du gouvernement fédéral, mais qui vacille sous la pression d’un lobby devenu omnipotent aux Etats-Unis, où pratiquement aucune institution ne peut résister à ses exigences. La justice américaine est connue pour sa rigueur et son extrême intolérance à l’égard de la moindre inconduite, au point de sévir contre le simple vol d’une pomme dans un supermarché.
Il s’agit ici de graves crimes d’espionnage commis par des protégés du Lobby et, étonnamment, la justice américaine s’est trouvée acculée à rechercher des excuses aux espions, à baptiser l’espionnage « distribution de l’information » et à exiger la preuve que les espions, en commettant leur crime, avaient l’intention de nuire aux intérêts américains.
La justice américaine, depuis qu’elle existe, a traité des centaines, peut-être des milliers, de cas d’espionnage. Jamais l’accusation ne s’était trouvée confrontée à une charge de la preuve sur l’intention des accusés de nuire aux intérêts des Etats-Unis. Cette intention a toujours été considérée comme évidente, comprise dans l’acte d’espionnage lui-même, dans la mesure où le vol d’une information ultrasecrète met nécessairement en danger un ou plusieurs secteurs politiques du pays victime du vol.
Il est peu probable que cette nouvelle « jurisprudence » du cas Rosen-Weissman puisse profiter aux futurs espions qui tomberont dans les filets de la justice américaine. En effet, on voit mal le juge Ellis ou son successeur exiger un jour la preuve sur les intentions d’espions chinois ou vénézuéliens de nuire aux intérêts de Washington après qu’ils aient délivré des informations hautement confidentielles à Pékin ou à Caracas.
En fait, c’est le juge Ellis qui, ici, met en danger les intérêts de son pays. En laissant filer Steve Rosen et Keith Weissman, en dépit de la gravité du crime commis, il ne fait qu’encourager les espions israéliens à se montrer plus entreprenants et plus hardis. D’ailleurs ont-ils besoin d’encouragement ? Le FBI reconnaît dans l’un de ses rapports que « les espions israéliens sont les plus agressifs » aux Etats-Unis. L’impunité dont viennent de bénéficier Rosen et Weissman est de nature à rassurer les espions israéliens, c'est-à-dire à espionner dans la sécurité si l’on peut dire.
L’exigence de la preuve des mauvaises intentions des espions du Lobby met le juge Ellis dans la situation de celui qui cherche midi à quatorze heures. Cette preuve est là, telle une poutre dans l’œil de l’Amérique que celle-ci refuse de voir. Elle se trouve dans chaque action entreprise, dans chaque pression exercée et dans chaque menace proférée par le Lobby contre les différentes institutions et les divers responsables aux Etats-Unis. Elle se trouve dans les immenses difficultés que rencontre la diplomatie américaine au Moyen-Orient et dans l’image hautement dégradée des Etats-Unis dans le monde et dont le Lobby y est pour beaucoup. Mais comme on dit, il n’est de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.

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