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Wednesday, May 13, 2009

Polarisation à Washington

La question est encore loin d’être résolue dans la capitale américaine où le débat fait rage entre les défenseurs de deux priorités diamétralement opposées. Il y a ceux qui estiment que les Etats-Unis doivent concentrer tous leurs efforts en Asie du sud pour stopper l’avance de l’obscurantisme taliban en Afghanistan et, plus dangereusement encore, au Pakistan. Et il y a ceux qui estiment que l’Etat fédéral américain doit mobiliser toutes ses ressources pour stopper le programme nucléaire iranien qui pose une « menace existentielle » pour Israël.
La semaine dernière, Washington a accueilli deux événements concomitants qui ont exacerbé ce débat et polarisé encore plus les acteurs politiques américains sur ces deux questions : la tenue de la conférence annuelle de l’AIPAC (American Public Affairs Committee), le puissant Lobby pro-israélien, et la visite officielle effectuée par les présidents afghan, Hamid Karzai, et pakistanais, Asif Ali Zardari, venus discuter la grave situation qui prévaut dans leurs pays respectifs avec leur homologue américain, Barak Obama.
Le premier événement a souligné que les Etats-Unis n’ont aucune autre priorité que celle de débarrasser l’Iran de son programme nucléaire. Tous les intervenants qui se sont succédés à la tribune de l’AIPAC n’ont parlé d’aucun autre sujet, et la question afghano-pakistanaise n’a pratiquement pas été évoquée. Intervenant à partir d’Israël via satellite, le Premier ministre Benyamin Netanyahu a même livré une « bonne nouvelle » à l’audience aipacienne que « le programme nucléaire iranien a unifié Israël et les pays arabes modérés ».
On ne sait pas où Netanyahu a été chercher cette « bonne nouvelle », mais, il est clair qu’on est là en présence d’un cas d’école du politicien qui prend ses désirs pour de la réalité. Lors de sa visite de lundi dernier à Charm el Cheikh, Netanyahu a, sans doute, essayé de convaincre le président Moubarak du « danger commun en provenance de Téhéran et qui menace à la fois Le Caire et Tel Aviv ». Il a, sans doute, ardemment exprimé son désir de voir publier un communiqué commun dans ce sens, mais les Egyptiens lui ont ri au nez.
Tout le monde sait que les relations égypto-iraniennes sont tendues. Tout le monde sait que le Caire n’est pas particulièrement à l’aise face au programme nucléaire iranien, mais de là à penser que l’Egypte puisse entrer dans une alliance stratégique et militaire avec Israël contre l’Iran, il n’y a probablement que deux ou trois personnes dans le monde pour le croire, dont Benyamin Netanyahu et son ministre des affaires étrangères, le Moldave Avigdor Lieberman qui, rappelons le, n’a pas fait le voyage à Charm el Cheikh avec son patron, parce qu’il est persona non grata en Egypte .
Pour revenir à Washington, le jour même (mercredi dernier) où les 6000 délégués de l’AIPAC déferlaient sur le Congrès pour exiger une loi qui durcirait encore plus les sanctions contre l’Iran, le président Obama entamait ses entretiens avec ses homologues afghans et pakistanais sur les problèmes qui secouent l’Asie du sud. Quand on sait que plus de la moitié des 535 membres du Congrès (représentants et sénateurs confondus) ont assisté à la conférence annuelle du Lobby, quand on sait le nombre exagérément élevé d’élus américains gagnés à la cause de l’AIPAC et d’Israël (plus par peur que par conviction), on peut avoir une idée sur la polarisation autour de la question des priorités américaines à Washington.
Pour récapituler, nous avons un pole constitué par le représentant d’Israël, l’AIPAC, et plusieurs membres influents de la Chambre des représentants et du sénat, qui pousse vers la guerre contre l’Iran. L’autre pole qui s’est formé à Washington et qui estime que la priorité des priorités est la bataille contre les talibans, comprend le Pentagone, la Maison blanche, l’état major de l’armée américaine et les services de renseignement.
A première vue, le pole anti-taliban est plus fourni et détient les principaux leviers du processus de prise de décision à Washington. Cependant, la grande inconnue reste le rôle des médias et leur prédisposition à rejouer on non le rôle de manipulateur joué pendant les préparatifs de la guerre d’Irak. Un exemple inquiétant. Le Wall Street Journal qui, comme on le sait, a joué un rôle désastreux dans l’invasion de l’Irak, n’a nullement tiré la leçon qui s’impose. Il semble vouloir remettre ça en poussant maintenant vers la guerre contre l’Iran.
Dans une interview accordée récemment à ce journal, l’amiral Mike Mullen, chef d’état major de l’armée américaine a affirmé : « une attaque israélienne contre l’Iran engendrera des risques exceptionnellement élevés pour les intérêts américains dans la région. » Le Wall Street Journal a tout simplement censuré cette phrase. Ce qui a amené le bureau de presse du chef d’état major de donner la totalité de l’enregistrement de l’interview à d’autres médias qui ont publié la partie censurée.
Le 18 mai prochain, Netanyahu sera reçu à Washington par Barack Obama. Il tentera sans doute de convaincre le président américain en ressassant les vieilles rengaines israéliennes sur la confusion des intérêts de Washington et de Tel Aviv, sur l’intérêt des Etats-Unis à confronter l’Iran en bombardant ses sites nucléaires, et il lui répètera même sa « bonne nouvelle » sur l’ « alliance entre Israël et les pays modérés » face à l’Iran.
Obama est assez intelligent pour savoir que tout ce que lui racontera Netanyahu sur « le danger existentiel iranien » est de la démagogie. Mais une démagogie dangereuse puisqu’elle vise à impliquer par tous les moyens les Etats-Unis dans une confrontation armée avec l’Iran.
Bush a tourné le dos à l’Afghanistan pour déclarer la guerre à l’Irak, plongeant son pays dans le plus grand désastre de l’histoire moderne. Obama, qui avait senti le danger et s’était opposé à l’aventure irakienne de Bush, ne peut pas commettre une erreur autrement plus grave et plus dévastatrice : tourner le dos à l’Afghanistan et au Pakistan afin de s’attaquer à l’Iran pour les beaux yeux des Israéliens.

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