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Saturday, May 02, 2009

Le Lobby sévit dans les campus

Résumons l’un des textes proposés par le professeur William Robinson à ses étudiants dans le cadre d’un cours sur la globalisation à l’université californienne de Santa Barbara (UCSB). Le 1er octobre 1939, les troupes d’occupation nazies en Pologne rassemblèrent tous les Juifs de Varsovie dans un quartier, devenu célèbre sous le nom de « ghetto de Varsovie ». Plus rien n’entrait ni ne sortait de ce ghetto. La nourriture permise par les Nazis ne dépassait guère les 250 calories par personne et par jour, soit le un dixième de ce qui est nécessaire à une personne pour vivre normalement. Toute rébellion dans le ghetto était réprimée dans le sang. En décembre 1939, par exemple, deux soldats allemands étaient tués dans un restaurant local. Pour les venger, l’armée allemande fusilla 106 hommes du ghetto. En avril, 1940, le ghetto était emmuré de tous les côtés, ce qui le coupa du reste du monde.
Le texte proposé par le professeur Robinson fait ensuite un saut dans le temps et dans l’espace et arrive à Gaza 2005. Le 12 septembre 2005, les dernières colonies de la bande de Gaza étaient démantelées et l’armé israélienne se retira après 38 ans d’occupation. Pour Israël, le retrait des troupes signifie la fin de l’occupation de Gaza. Mais, pour les citoyens de Gaza, l’occupation a tout simplement évolué vers une autre étape : le ghetto. En 2005, la bande de Gaza était devenue une prison en plein air pour les Palestiniens. En plus du contrôle strict de l’espace aérien et des frontières terrestres et maritimes, Israël faisait entrer au compte-gouttes les produits de base indispensables à la vie, s’inspirant probablement des 250 grammes de nourriture que laissaient entrer les Nazis pour chaque Juif du ghetto de Varsovie.
En plus des textes proposés à la lecture, le professeur incluait à l’intention de ses étudiants des photographies de la dernière guerre (27 décembre 2008-18 janvier 2009) où l’on voyait des scènes terrifiantes de destruction, de morts qui jonchaient les rues et de cadavres que les sauveteurs tentaient de dégager des décombres.
Parmi les centaines d’étudiants, deux étaient « choqués » par les documents écrits et photographiques proposés par le professeur Robinson. Ils n’avaient pas apprécié le parallèle établi entre les atrocités commises par les Nazis dans le ghetto de Varsovie et celles commises par l’armée israélienne dans le ghetto de Gaza. Le premier réflexe de ces deux âmes sensibles était d’alerter l’« Anti-Defamation League ». Aussitôt la police de la pensée du Lobby israélien, sortie tout droit du livre de George Orwell « 1984 », était sur place, et, avec son arrivée, commençaient les ennuis du professeur William Robinson.
Abraham Foxman, le chef le plus puissant et le plus redoutable du Lobby, se comporta en véritable patron de la police de la pensée. Il convoqua le 9 mars dernier une douzaine de responsables de l’Université de Santa Barbara qu’il rencontra dans l’enceinte de l’université. D’après Harold Marcuse, professeur d’histoire, présent au meeting, Foxman parla pendant une heure durant laquelle il avait à la fois exigé une enquête sur l’ « antisémitisme » du professeur William Robinson, et réprimandé les présents pour « n’avoir pas dénoncé publiquement » leur collègue…
On sait qu’Abraham Foxman a un pouvoir aux Etats-Unis que tous les politiciens redoutent parce qu’il a les moyens de détruire la carrière de celui qui ose s’en prendre à la politique israélienne, même dans ses aspects les plus criminels. Le chef du Lobby vient de prouver une fois de plus qu’il n’est pas seulement l’épouvantail des politiciens, mais aussi des académiciens américains. Car le Lobby dispose également du pouvoir de mettre en difficulté, voire détruire, des carrières académiques de professeurs universitaires. Rappelez-vous le travail des professeurs John Mearsheimer et Stephen Walt sur le Lobby israélien et la politique étrangère américaine. Ils n’avaient trouvé dans leur pays aucun éditeur ni aucune revue qui accepteraient de publier leur étude. Ils avaient dû finalement se tourner vers l’Europe, et l’étude fut publiée en 2006 par la London Revue of Books.
Les cadres dirigeants de l’université de Santa Barbara se sont pliés aux injonctions de Foxman. Comme l’a exigé ce chef de police de la pensée, une enquête est ouverte pour déterminer si le professeur William Robinson est un « antisémite » ou pas. Mais tous les académiciens américains ne sont pas serviles vis-à-vis de la police de la pensée du Lobby qui intervient dans les universités pour interdire tout enseignement qui ne lui plairait pas et exiger le renvoi de tout professeur qui sortirait des rangs.
En effet, un Comité de défense de la liberté académique à l’UCSB (1) a été aussitôt constitué pour exiger l’arrêt de l’enquête et des accusations d’« antisémitisme » qui visent le professeur William Robinson. Des dizaines d’académiciens américains et étrangers sont membres de ce comité. Le plus célèbre d’entre eux est l’académicien de confession juive, Noam Chomsky, qui ne cache pas sa colère contre le harcèlement de la part du Lobby dont sont victimes les universitaires américains et sa révolte contre l’immixtion de la police de la pensée, dirigée par Foxman, dans le contenu des cours. « Le contenu des cours », insiste Chomsky, « est du seul ressort du professeur ».
Le professeur Chomsky n’est pas à son premier clash avec le Lobby. Il ne rate pas une seule occasion pour le mettre à l’index et dénoncer ses méfaits. Défendant son collègue Williamson, Chomsky affirme que « l’accusation d’antisémitisme est une vieille stratégie de l’ADL (Anti-Defamation League) qui consiste à faire l’amalgame entre la critique d’Israël et l’antijudaïsme. Ils taxent toute critique comme antisémite, mais ne répondent jamais à la critique elle-même parce qu’ils ne peuvent pas. (…) Depuis quarante ans, le Lobby est devenu une organisation de style staliniste dont l’objectif est de soutenir tout ce que fait Israël et de détruire toute opposition à la politique israélienne. »
Les incidents entre politiciens et académiciens américains d’une part et le Lobby israélien d’autre part se multiplient. Depuis quarante ans, ce Lobby utilise la même et l’unique arme à sa disposition : accuser ses adversaires d’antisémitisme. Cette arme est de moins en moins efficace parce qu’elle est discréditée, rouillée, épuisée et usée jusqu’à la corde.


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(1) www.sb4af.wordpress.com

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