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Wednesday, October 07, 2009

La Turquie et Israël, une histoire complexe

Dans le monde arabo-islamique beaucoup se demandent avec étonnement comment se fait-il que la troisième puissance musulmane par la population et la première par le développement économique a-t-elle été amenée à s’allier avec Israël et à développer des « relations privilégiées » avec ce pays au point d’organiser avec lui des manœuvres militaires devenues rituelles?
Un rapide coup d’œil sur la mappemonde est suffisant pour nous convaincre que le pays le mieux placé géographiquement est la Turquie. Baignée au nord par la Mer noire et au sud par la Méditerranée, la Turquie dispose en outre de la clef du Bosphore qui relie ces deux grandes zones navigables. C’est aussi le seul pays au monde qui dispose de frontières communes à la fois avec le monde arabe et des pays de l’Asie de l’ouest et de l’Europe de l’est.
Ces atouts naturels n’étaient pas toujours traduits en avantages stratégiques, loin s’en faut. Pendant les longues années de la guerre froide, la Turquie avait été l’objet d’intenses convoitises de la part de l’Union soviétique, frustré de ne pas disposer du double de la clef du Bosphore, ce qui lui aurait permis de respirer à plein poumon et de narguer à loisir la 6e flotte américaine en Méditerranée.
La frustration de l’URSS était double en fait. La flotte soviétique, à cause de l’ « obstacle turc », ne pouvait pas avoir librement accès aux mers chaudes du sud qu’elle cherchait désespérément à atteindre. De plus, la Turquie avait non seulement opté pour le système économique occidental, mais elle avait aussi fait le choix stratégique d’être l’un des plus importants piliers de l’OTAN.
Désirant contourner l’« obstacle turc » et rêvant de l’encercler, l’URSS avait établi des alliances avec l’Irak et la Syrie, pays frontaliers de la Turquie, et avec l’Egypte de Nasser. La réaction naturelle de la Turquie était de chercher à neutraliser les alliés de l’URSS dans sa frontière sud en s’alliant à la fois avec l’Iran du Chah et Israël. Le raisonnement des stratèges turcs de l’époque était que ces deux pays étant naturellement antisoviétiques, une alliance avec eux soulagerait la Turquie du harcèlement indirect de l’URSS à travers Bagdad, Damas et le Caire.
En s’alliant avec l’Iran du Chah et Israël, la Turquie visait à faire échouer la tentative d’encerclement soviétique par le sud en appliquant à la lettre l’adage : « l’ennemi de mon ennemi est mon ami ». L’Iran et l’Irak sont des ennemis séculaires. L’Irak est l’ami de l’URSS qui est l’ennemie de la Turquie. Donc celle-ci et l’Iran deviennent amis et alliés. Le même raisonnement est fait à propos de la Syrie et l’Egypte d’une part et Israël d’autre part. Sans parler bien sûr du contentieux historique entre le monde arabe et la Turquie, celle-ci faisant assumer à celui-là une part de responsabilité dans l’écroulement de l’empire ottoman. Tel est donc le cheminement historique des « relations privilégiées » entre Ankara et Tel Aviv.
Le rapprochement turco-israélien, du fait de la pression soviétique, était un gain stratégique inespéré pour Israël. La Turquie est, démographiquement, la troisième puissance musulmane (après l’Indonésie et le Pakistan) et la première puissance militaire et économique dans la région. On imagine la divine surprise pour Israël quand, du coup, la Turquie était devenue son alliée.
Le séisme stratégique qu’avait constitué l’écroulement de l’Union soviétique, il y a près de vingt ans, était porteur de profonds changements très avantageux pour la Turquie. Celle-ci, avec la disparition du danger soviétique, n’avait vraiment plus de raison de considérer Israël comme un partenaire stratégiquement utile. Cependant, en dépit de l’inutilité stratégique d’Israël, la Turquie a maintenu pendant des années le niveau privilégié de ses relations avec l’Etat hébreu.
L’Histoire est riche en exemples d’alliances bâties pour s’opposer à un danger commun et qui se sont maintenues longtemps après la disparition du danger qui les a fait naître. Cela s’explique par l’habitude, la fidélité ou l’émergence d’un intérêt commun d’une autre nature.
La Turquie et Israël ont tous deux des relations très étroites avec les Etats-Unis qui eux ne voulaient en aucun cas que les liens entre Ankara et Tel Aviv soient distendus. Le raisonnement de Washington est simple : la Turquie étant le seul pays musulman à avoir des relations privilégiées avec l’Etat hébreu, il est donc de la plus haute importance aussi bien pour Israël que pour les Etats-Unis que les choses ne changent pas. A cela s’ajoute la coopération économique et militaire très développée entre les deux pays et qui est sans doute un élément déterminant dans le maintien de la « relation privilégiée » israélo-turque.
Cela ne veut pas dire que les relations entre les deux pays étaient toujours au beau fixe. Elles sont passées par des crises du fait des agressions multiples d’Israël contre les Palestiniens et les Libanais et du fait du mépris constamment manifesté par ce pays vis-à-vis du droit international. Ces crises sont devenues plus intenses depuis l’accession au pouvoir du parti du Premier ministre actuel Tayyip Erdogan.
La guerre de Gaza de décembre 2008-janvier 2009 a ramené les relations entre Ankara et Tel Aviv à leur niveau le plus bas. La crise était telle qu’elle avait pris un aspect spectaculaire que le monde entier avait pu suivre en direct à la télévision. Erdogan, furieux contre les mensonges de Peres sur la guerre de Gaza, mais également contre le « modérateur » américain David Ignatieff, exagérément pro-israélien, avait non seulement quitté le plateau mais Davos aussi le soir même.

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