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Monday, October 26, 2009

Le bout du tunnel est encore loin

L’Irak a une histoire qui remonte à la nuit des temps mais, probablement, jamais il ne s’est trouvé engagé dans une crise politique et sécuritaire comme celle qui menace maintenant son identité et la vie de ses citoyens. Si l’on se limite au siècle dernier, on constatera que les Irakiens sont passés par des moments extrêmement difficiles. Mais ni leur confrontation avec l’occupant britannique au début du 20e siècle, ni les coups d’état sanglants des année 50 et 60, ni la guerre avec l’Iran, ni encore la guerre de 1991 qui visait à expulser les troupes irakiennes du Koweït, ni les sanctions étouffantes qui ont suivi n’ont provoqué de crises comparables à celle que vivent les Irakiens depuis le mois de mars 2003.
Pourtant durant les deux dernières années, le rythme des attentats terroristes a diminué sensiblement, permettant aux Irakiens de renouer avec les habitudes simples de la vie de tous les jours. Le mois de ramadan dernier qui, pour la première fois depuis mars 2003, s’est déroulé dans le calme, les jeûneurs ont pu s’aventurer hors de chez eux la nuit et revivre quelques moments du bon vieux temps où Bagdad était l’une des villes les plus sûres du monde.
Aujourd’hui, la peur est là de nouveau. Tous les Irakiens sans exception se sentent en danger de mort dès qu’ils quittent leur foyer pour aller au travail, à l’école ou tout simplement faire des courses. Il faut une bonne dose de courage pour arpenter les artères de la capitale irakienne à pied, à bicyclette, à motocyclette ou en voiture. Quel que soit le moyen de déplacement qu’il utilise, l’Irakien, quand il est en dehors de chez lui, vit avec l’angoisse ressentie par le condamné à mort en sursis qui ne sait pas la date de son exécution.
Les attentats terrifiants de dimanche dernier qui ont fauché la vie de plus de 130 innocents et plongé dans l’enfer de la souffrance plus d’un demi millier de blessés, sont venus rappeler brutalement aux Irakiens, aux Américains et au reste du monde que le bout du tunnel est loin d’être atteint.
Les Kamikazes, en se faisant exploser au volant de leurs camions bourrés l’un d’une tonne et l’autre de 700 kilogrammes d’explosifs, ont décapité et déchiqueté des passants et brûlé vifs dans leurs voitures des automobilistes dont la malchance a voulu qu’ils soient au mauvais endroit au mauvais moment. Les commanditaires de ce terrorisme aveugle, en frappant indistinctement et aveuglément des passants ou des automobilistes innocents, transmettent un message précis : n’importe quel Irakien aurait pu faire partie des 132 morts ou des 500 blessés. Il est clair que l’un des objectifs des terroristes est de terroriser l’ensemble du peuple irakien en rendant toute sortie d’un citoyen de chez soi comme une aventure fort risquée pouvant entraîner la mort.
En effet, une population inhibée et vivant avec la peur au ventre devient elle-même un grand obstacle à la normalisation du pays. Et c’est là l’objectif principal que poursuivent les terroristes. Car si l’Irak se normalisait, les services de l’Etat, en particulier ceux du renseignement et de la sécurité, retrouveraient leur efficacité, et les terroristes seraient vite éliminés et leur « idéologie » destructrice rapidement extirpée.
Force est de constater qu’aujourd’hui les services de l’Etat irakien sont encore défaillants et beaucoup de pratiques, notamment la corruption endémique, versent de l’eau au moulin des terroristes. Si ceux-ci sont toujours capables de se procurer des tonnes d’explosifs, les placer dans des camions, leur faire traverser de nombreux barrages de police et les faire exploser face à des institutions qui symbolisent l’Etat, cela veut dire que le problème de l’Irak est dû plus à la faiblesse et à l’incapacité des services étatiques d’assumer leur responsabilité qu’à la force et à l’ingéniosité des terroristes.
Il n’est guère étonnant que ceux-ci s’engouffrent dans des brèches et tentent de les élargir encore à coups d’explosifs. Ce qui est étonnant, c’est la passivité des services de renseignements et leur incapacité à prévenir les attentats. C’est le laisser-aller dans les barrages de sécurité dont la qualité la moins évidente semble être la vigilance. Selon le témoignage d’un Irakien, « les policiers chargés de surveiller les barrages de sécurité passent leur temps à bavarder entre eux ou accrochés à leurs téléphones portables plutôt qu’à contrôler les véhicules qui passent. » Le fait que les camions des kamikazes de dimanche aient traversé de nombreux barrages sans être inquiétés donnent beaucoup de crédit à ce témoignage.
Evidemment la responsabilité des graves atteintes à la sécurité du pays ne peut être assumée par les seuls services de renseignement et les quelques policiers affectés à la surveillance des « check points ». La responsabilité se situe bien plus haut dans la hiérarchie. Elle incombe au Premier ministre Nouri al Maliki qui ne se résout toujours pas à s’engager sur la voie de la réconciliation nationale en faisant les concessions nécessaires aux groupes sunnites et en réduisant les avantages politiques et matériels excessifs dont est gratifié son entourage. Elle incombe aussi au parlement irakien qui, jusqu’à ce jour, n’arrive pas à s’entendre sur le nouveau code électoral alors qu’il ne reste qu’à peine dix semaines aux prochaines élections législatives, qualifiées de « cruciales ». Cette responsabilité incombe enfin aux Kurdes dont l’unique objectif actuellement est l’annexion de Kirkouk à leur « zone autonome » du Kurdistan irakien, préparant ainsi activement les futurs affrontements entre Arabes et Kurdes sur la région pétrolifère du nord irakien.
On le voit, les terroristes ne sont pas la seule force qui s’oppose aujourd’hui violemment à la normalisation de l’Irak. Les forces politiques qui rivalisent pour imposer leur influence, continuent de tirer chacune la couverture vers elle. Mais cette couverture tiendra-t-elle encore longtemps avant de se déchirer, condamnant le peuple irakien à de nouvelles descentes aux enfers ?

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