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Monday, October 12, 2009

Turquie-Arménie: deux gagnants à l'aller

Le 7 septembre dernier, un match comptant pour la qualification à la phase finale de la coupe du monde 2010 en Afrique du sud a opposé la Turquie et l’Arménie à Erevan. Le président turc Abdallah Gül était dans les tribunes à côté de son homologue arménien, Serge Sarkissian. Les deux hommes ne s’étaient sûrement pas contentés de commenter les deux buts marqués par l’équipe turque, mais avaient sans doute aussi évoqué les points que l’Arménie rêve de marquer sur le terrain diplomatique, mais que la Turquie semble encore déterminée à ne pas encaisser.
Demain, le 14 octobre, le match retour se déroulera dans la ville turque de Bursa, et il y a tout leu de croire que Gül et Sarkissian, qui seront présents dans les tribunes pour suivre la partie, parleront beaucoup moins de ce qui se passera sur le terrain de football entre les deux équipes nationales que de ce qui se déroule actuellement sur le terrain marécageux de la politique entre les responsables des deux pays, après la signature samedi dernier à Zürich des « accords historiques » visant à résoudre le lourd contentieux turco-arménien.
Entre les deux matchs aller-retour, c'est-à-dire en quelques semaines, l’histoire a connu une grande accélération après une longue immobilité qui a duré des décennies au cours desquelles la Turquie et l’Arménie ruminaient chacune de son côté sa rancœur contre l’autre.
Le sujet principal de la discorde porte sur la mort de centaines de milliers d’Arméniens en 1915-1916 que l’Arménie qualifie de « génocide » et la Turquie de « répression normale d’un soulèvement ». Bien que l’événement tragique eût lieu il y a près d’un siècle et qu’il fût commis par une armée en débandade d’un empire agonisant, la Turquie moderne est toujours tenue pour responsable par les Arméniens qui exigent la reconnaissance du « génocide » par l’Etat turc.
Cette difficulté semble momentanément dépassée grâce à l’accord entre les deux pays sur la création d’une commission qui se chargera d’étudier « de manière scientifique et impartiale les données historiques et les archives » relatives aux circonstances de la mort massive d’Arméniens.
C’est cet accord qui a débloqué l’évolution vers la normalisation entre Ankara et Erevan. Il a abouti, après des négociations ardues et l’implication active de Moscou et de Washington, à la signature des accords de Zürich qui prévoient le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays et l’ouverture des frontières scellées depuis 1993.
Un deuxième sujet de discorde entre les deux pays a surgi aussitôt après la signature de ces « accords historiques » : la question de l’enclave du Nagorny Karabakh qui empoisonne depuis deux décennies les relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. En effet, une guerre a opposé ces deux pays entre 1988 et 1994 sur cette enclave peuplée majoritairement d’Arméniens et que l’Arménie a réussi par la force à annexer à son territoire. La Turquie, qui a pris fait et cause pour le turcophone Azerbaïdjan, a réagi en scellant la frontière turco-arménienne qui, jusqu’à ce jour, demeure hermétiquement fermée.
Apparemment, les rédacteurs des protocoles de Zürich ont escamoté délibérément cette délicate question afin de faciliter leur signature. On se rend compte maintenant qu’ignorer les questions délicates n’est pas le meilleur moyen de les résoudre. Quelques heures après la clôture de la cérémonie de signature à Zürich, le Premier ministre turc, Tayyip Erdogan, a affirmé que son gouvernement n’ouvrira pas la frontière avec l’Arménie tant que ce pays n’aura pas évacué les territoires qu’il « occupe » en Azerbaïdjan.
Le rapprochement turco-arménien n’est pas entravé seulement par les exigences officielles de part et d’autre, mais également par de fortes résistances populaires dans les deux pays. Résistances minoritaires certes, mais qui ont réussi à jeter une ombre sur la cérémonie de signature des protocoles et pourraient réussir à retarder leur ratification. Les extrémistes turcs et arméniens qui se vouent une haine inextinguible suivent maintenant un objectif commun : faire échouer la ratification.
Le match aller entre la Turquie et l’Arménie a eu lieu le samedi 10 octobre à Zürich et les deux pays en étaient sortis gagnants après la signature des « accords historiques ». Les deux principaux protagonistes du match, le Turc Ahmet Davutoglu et l’Arménien Edouard Nalbandian, se sont longuement serrés la main et se sont chaudement congratulés de leur victoire commune face aux spectateurs européens, américains et russes qui applaudissaient en arborant de larges sourires.
Le match retour pour la ratification, dont la date n’est pas fixée, se déroulera dans les deux capitales, Ankara et Erevan. La victoire des deux pays dans ce match retour est de rigueur si l’on ne veut pas retourner à la case départ. Et si l’on ne veut pas de la victoire de ceux qui ne sont pas intéressés par le jeu, mais par les troubles.

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