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Saturday, October 10, 2009

Un Nobel trop particulier à un homme très spécial

Commençons par souligner un grand paradoxe : le pays qui a été quasi-constamment en guerre pendant le XXe siècle et qui continue à l’être en ce début du XXIe contre un ou plusieurs pays à la fois est celui qui a le plus grand nombre de présidents lauréats du prix Nobel de la paix. Theodore Roosevelt, Thomas Woodrow Wilson et Barack Obama ont remporté le prix respectivement en 1906, 1919 et 2009, alors qu’ils sont en plein exercice de leurs fonctions. Un autre président, Jimmy Carter, l’a eu en 2002, vingt deux ans après avoir terminé son mandat, et un vice-président, Al Gore, en 2007. Et même un secrétaire d’Etat, Henry Kissinger pour ne pas le nommer, a remporté le même prix en 1973, c'est-à-dire à un moment où les bombes américaines pleuvaient sur le Vietnam…
D’habitude, pour justifier son choix, le Comité du Nobel pour la paix puise dans le passé du candidat et met en valeur ses contributions, généralement substantielles et qui s’étendent sur des années, en faveur de la paix dans le monde. Par exemple en 2002, en honorant Jimmy Carter, le Comité a souligné « les efforts infatigables déployés pendant des décennies » par l’ancien président américain pour un monde moins belliqueux et plus paisible.
Cette fois, le Comité d’Oslo n’a pas regardé vers le passé du lauréat, mais l’a récompensé d’avance pour l’encourager à continuer sur la voie de la paix. Un peu comme ce père qui couvre son fils de cadeaux pour le récompenser de sa réussite dans un examen qu’il n’a pas encore passé. En d’autres termes, ce Nobel de la paix ne vient pas récompenser Obama pour ce qu’il a accompli, mais fortifier son crédit international et l’inciter à aller de l’avant dans le sens de l’accomplissement de ses promesses faites pendant ses célèbres discours d’avril et juin de cette année à Prague et au Caire.
Certes, en neuf mois d’exercice de pouvoir à la tête de la plus grande puissance du monde, le président américain a remis fondamentalement en cause les principaux choix politiques de son prédécesseur qui ont gravement détérioré la relation de l’Amérique avec le reste du monde : l’unilatéralisme, le mépris du droit international, la force militaire comme moyen privilégié pour résoudre les différends internationaux, la supériorité de la démocratie américaine sur tous les autres systèmes et la prétention de l’imposer sous d’autres cieux manu militari, l’arrogance comme principal moyen de communication avec les autres etc…
A ce niveau, on peut dire qu’à défaut d’un prix Nobel de la guerre à décerner à George Walker Bush, un prix Nobel de la paix est décerné à Barack Obama. Le Comité d’Oslo l’a fait en reconnaissance « des efforts extraordinaires en faveur du renforcement de la diplomatie et de la coopération internationale entre les peuples. » Le comité a aussi souligné « l’importance particulière » qu’il attache « à la vision et au travail d'Obama pour un monde sans armes nucléaires. » Un clin d’œil évident au discours du président américain de Prague et une incitation claire à aller de l’avant dans son ambitieux projet de dénucléarisation du monde.
Cependant, un simple renversement de tendance de la politique de son prédécesseur, dont les résultats, du reste, se font encore attendre dans plusieurs domaines, n’est pas suffisant pour mériter le plus prestigieux des prix Nobel. Obama en est parfaitement conscient puisqu’il a exprimé sa surprise sans pouvoir cacher son embarras : « Pour être franc, je n'ai pas l'impression que je mérite de me retrouver en compagnie de tant de personnalités qui ont transformé leur époque et qui ont été distinguées par ce prix », a affirmé le président américain. Il a reconnu honnêtement que ce prix lui a été décerné non pas pour ce qu’il a accompli, mais comme « un appel à l’action », selon ses propres termes.
Pour le Nobel de cette année, le Comité a reçu un nombre record de candidatures : 205 au total. Parmi eux, il y a sans aucun doute beaucoup qui, en matière de lutte pour la paix, ont un « CV » nettement plus volumineux que celui d’Obama. Le choix du lauréat a été déterminé cette année non pas en consultant les dossiers des candidats, mais en scrutant la situation internationale.
Le politologue français Bertrand Badie a peut-être un peu raison de souligner que « le comité a essayé de renforcer l'autorité morale du président au moment où elle semble faiblir par rapport aux réalités internationales. » Une chose est certaine : le comité a eu l’occasion d’influencer l’homme le plus puissant du monde et il ne l’a pas ratée. C’est un peu comme si, sachant qu’Obama a le pouvoir constitutionnel de déclencher des guerres, le comité a voulu cadenasser pour les trois ou sept ans à venir cette sphère des prérogatives de l’Exécutif américain.
Car un Nobel de la paix ne déclenche pas de guerre. Car un Nobel de la paix qui a hérité des guerres aura plus de motivation de les boucler rapidement. Car un homme qui est à la fois détenteur du Nobel de la paix et du plus grand pouvoir de décision sur terre est un atout inestimable pour un monde qui cherche désespérément à éteindre ses innombrables foyers de tension, à se débarrasser de ses armes nucléaires et à trouver le remède aux excès de plus en plus désastreux d’un climat déboussolé. Telles sont les véritables motivations du Comité d’Oslo qui, cette année, a décerné un Nobel trop particulier à un homme très spécial.

1 Comments:

Blogger Khaldoun said...

Si tu veux la paix prépare la guerre.

Kissinger était un interlocuteur important avec le kremlin pendant la guerre froide.

A qui aurait-il pu le donner cette année ?
Personne ne me vient à l'esprit.

1:27 AM  

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