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Wednesday, October 21, 2009

Quand la politique ignore les lois de la physique

Il y a deux semaines, on est passé très près d’une troisième intifada dans les territoires occupés, et principalement en Cisjordanie. C’est presque un miracle que les choses se sont calmées, tellement les raisons d’une troisième révolte palestinienne sont nombreuses et intenses. Il y a bien sûr les raisons devenues classiques, car, depuis le temps qu’elles durent, la seule évolution qui s’opère est celle qui va dans le sens de l’aggravation et de la dégradation : l’occupation avec les barrages qui quadrillent la Cisjordanie ; les soldats qui harcèlent et humilient les Palestiniens ; les colonies qui se multiplient à la manière des cellules cancéreuses ; l’excavation archéologique à Jérusalem-est ; le mur de la honte qui s’étend sur des centaines de kilomètres et qui sépare les villages les uns des autres, les villes les unes des autres, les écoliers de leurs écoles, les artisans de leurs ateliers et les agriculteurs de leurs champs ; les conditions économiques étouffantes ; les horizons désespérément sombres ; la division interpalestinienne et la guerre d’usure à laquelle se livrent l’Autorité palestinienne en Cisjordanie et le gouvernement démis du Hamas à Gaza…
A ces raisons classiques se sont ajoutés deux événements imprévus qui ont failli mettre le feu aux poudres. D’abord les troubles provoqués par les extrémistes religieux qui, profitant de la fête traditionnelle juive de Sukot, (au cours de laquelle les juifs font « le pèlerinage à Jérusalem »), ont investi l’esplanade des mosquées en criant leur détermination à ériger un temple à la place. Le deuxième événement qui a enragé les Palestiniens est le feu vert donné par l’Autorité palestinienne, suite à d’intenses pressions américaines, à l’ajournement du rapport Goldstone.
Des pressions inverses, visiblement plus intenses que celles des Américains, étaient exercées sur l’Autorité palestinienne pour qu’elle annule l’ajournement et présente à nouveau le rapport Goldstone devant le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, ce qui fut fait. Le reflux de l’activisme des extrémistes religieux juifs à Jérusalem-est et le vote largement positif dont a bénéficié le rapport Goldstone à Genève ont sans doute contribué à calmer les esprits en Cisjordanie. La troisième intifada n’a donc pas eu lieu. Pour combien de temps a-t-elle été ajournée ? C’est la question que beaucoup d’observateurs se posent.
La loi de la physique selon laquelle la pression provoque l’explosion est valable aussi en politique. Le peuple palestinien vit sous une pression intense, et un jour ou l’autre la troisième intifada se déclenchera si l’on n’ouvre pas les vannes pour lui permettre de respirer. Le rapport Goldstone est une petite vanne qui a permis de réduire un peu la pression, mais qu’Israël et les Etats-Unis s’efforcent de fermer au plus vite. Washington a tout fait pour enterre le rapport en question avant qu’il ne soit présenté au Conseil des droits de l’Homme. Ayant échoué, l’administration Obama tentera de lui barrer la route qui mène vers le Conseil de sécurité, et si elle est franchie, le veto est là pour servir à nouveau Israël, et Washington ne cache pas son intention de l’utiliser.
S’il est dans la nature des choses qu’Israël s’efforce de se dérober à la moindre pression, on s’étonnera toujours en revanche de la propension des Etats-Unis, de cet automatisme américain qui veut que chaque fois qu’une pression se déplace des Palestiniens vers les Israéliens, c’est l’alerte générale au sein du gouvernement fédéral américain pour remettre cette pression à sa place « naturelle », c'est-à-dire le peuple palestinien. Des réponses sont intensément souhaitées par beaucoup de monde aux questions suivantes : pourquoi les Etats-Unis tolèrent-ils depuis des décennies les pires injustices subies quotidiennement par le peuple palestinien, et sortent-ils de leurs gonds chaque fois qu’une pression banale est exercée sur Israël ? Pourquoi il est « normal » que le peuple palestinien soit soumis à une occupation impitoyable, à des guerres destructrices et à un blocus étouffant, mais « déraisonnable » de produire un simple rapport détaillant les crimes de guerre israéliens ?
Quand l’administration américaine se trouve acculée à répondre à ce genre de questions, ses réponses sont toujours empruntées à la position officielle israélienne : il ne faut pas mettre la pression sur Israël, cela met en danger le processus de paix…C’est d’ailleurs cette réponse tragi-comique qu’Israël ne cesse de crier sur les toits depuis la publication du rapport Goldstone.
Le terme « processus de paix » a été vidé depuis longtemps de son sens par les pratiques israéliennes sur le terrain, par la multiplication des voyages inutiles des innombrables « envoyés spéciaux » américains et la profusion de forums stériles genre Annapolis. Ainsi, quand Israël prévient le monde que le rapport Goldstone « met en danger le processus de paix », on hésite entre éclater de rire ou éclater en sanglots.
Le drame est que les Etats-Unis, loin de s’opposer à cette tendance désastreuse, semblent la renforcer par des décisions surprenantes. La dernière de ces décisions consiste à s’engager avec l’armée israélienne dans des manœuvres aériennes communes « les plus importantes de l’histoire des deux pays ». Deux remarques s’imposent ici. D’abord, cette décision est un peu futile, puisqu’elle vient en réaction à l’annulation par la Turquie de la participation d’Israël aux manœuvres aériennes américano-israélo-turques précédemment programmées. Ensuite cette décision est étonnante dans la mesure où elle vise à aguerrir une armée de l’air israélienne qui, jusqu’à présent, n’a servi à rien d’autre qu’à bombarder les civils palestiniens et libanais désarmées et à détruire des infrastructures dépourvues de défense anti-aérienne. Pour apprécier la chose à sa juste valeur, on n’a qu’à imaginer Mike Tyson en train de faire le plus grand entraînement de sa vie pour se préparer à un match avec un gamin de dix ans…

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