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Saturday, October 24, 2009

Erreurs stratégiques et prix à payer

En Afghanistan et au Pakistan, les alliés d’hier se livrent aujourd’hui à une lutte à mort où ni les protagonistes ni les observateurs ne voient l’issue. Les situations politico-militaires dans les deux pays sont si fortement imbriquées, si intimement mêlées que les Américains n’ont trouvé aucune difficulté à les unir sous le même vocable d’ « Afpak ».
Il n’y a pas très longtemps, un peu plus de deux décennies, les Etats-Unis formaient, finançaient et armaient ceux qu’ils considéraient alors comme « les combattants de la liberté ». Il n’y a pas très longtemps non plus, le gouvernement pakistanais vivait en bonne intelligence si l’on peut dire avec les activistes islamistes qui pullulaient chez le voisin afghan, mais aussi dans les zones tribales du nord ouest du Pakistan, c'est-à-dire dans le nord et le sud du Waziristan.
Les raisons qui ont amené les alliés d’hier à s’engager aujourd’hui dans des batailles titanesques sont complexes. Rappelons toutefois qu’après les attaques du 11 septembre 2001, le capital faramineux de sympathie dont jouissaient les Etats-Unis a été dilapidé, et l’occasion d’écraser les talibans et Al Qaida perdue par l’erreur stratégique monumentale commise par l’administration Bush qui, sans avoir terminé le travail en Afghanistan, s’était tournée vers l’Irak.
Au Pakistan, c’est l’obsession d’un « encerclement hindou » qui semblait être le facteur déterminant de l’aide inconditionnelle et généreuse fournie pendant de longues années par Islamabad aux divers groupes islamistes, dont le Hezb Islami de Gulbuddin Hekmatyar, avant de les lâcher et d’aider les talibans à s’emparer du pouvoir en automne de l’année 1996. Cet événement était d’autant plus remarquable que les talibans qui défendaient une conception extrêmement rétrograde de la femme et de son rôle dans la société, s’étaient installés au pouvoir à Kaboul grâce à l’aide d’un gouvernement dirigé à Islamabad par une femme, Benazir Bhutto…
Pour le Pakistan donc, il est vital que les relations entre l’Inde et ceux qui gouvernent l’Afghanistan soient suffisamment tendues de manière à ne permettre aucune présence hindoue en Afghanistan ni aucune influence de New Delhi à Kaboul. Car, depuis la création du Pakistan en 1947, le cauchemar des autorités successives d’Islamabad est de se retrouver un jour prises en sandwich entre l’Inde et un Afghanistan pro-indien. Un bref coup d’œil à la mappemonde nous montre l’énormité des frontières du Pakistan avec ses deux voisins qui s’étendent sur des milliers de kilomètres.
Aujourd’hui, les Etats-Unis d’un côté et le Pakistan de l’autre sont en train de mener deux guerres sur deux fronts, mais contre un ennemi commun, le mouvement taliban, qui a réussi à étendre ses tentacules au-delà des limites qui lui étaient assignées il y a quelques années. Washington et Islamabad ont commis tous deux des erreurs stratégiques semblables qui expliquent aujourd’hui leur enlisement dans des guerres où l’ennemi est insaisissable de par sa capacité à se fondre en un clin d’œil au sein de la population civile ou de sa rapidité à disparaître des les reliefs montagneux. Sans la fixation de l’administration de George W. Bush sur l’Irak, l’armée américaine ne serait pas aujourd’hui dans cette situation intenable. Sans l’obsession des différents gouvernements pakistanais par le « danger hindou », le Pakistan ne serait pas aujourd’hui dans cet état de déstabilisation avancé.
Les Etats-Unis et le Pakistan sont en train de payer aujourd’hui le prix de leur incapacité à déterminer le vrai ennemi et de leur précipitation à mobiliser leurs forces contre le faux ennemi. Car l’Irak n’était pas plus dangereux pour les Etats-Unis que ne l’était l’Inde pour le Pakistan, et les vrais ennemis de Washington et d’Islamabad, on le voit bien maintenant, sont les extrémistes islamistes afghans et pakistanais qui combattent férocement aujourd’hui leurs bienfaiteurs d’hier.
Mais si pour les Etats-Unis, les conséquences de l’erreur stratégique commise est payé en soldats morts, en matériel détruit, en argent gaspillé et en réputation ternie, il n’en est pas de même pour le Pakistan. Le prix à payer par celui-ci pourrait être beaucoup plus élevé dans la mesure où la stabilité même du pays est danger. Elle est secouée chaque jour un peu plus par les attentats quotidiens et audacieux contre lesquels rien ne semble immunisé, pas même les bases militaires ou les mosquées.
En décidant d’engager le bras de fer avec ses propres talibans dans leur fief du Waziristan, les autorités pakistanaises se sont résolues enfin à tenir le taureau par les cornes. Mieux vaut tard que jamais est-on tenté de dire, même si cet affrontement armé aurait été beaucoup plus facile à mener s’il était engagé plus tôt, c'est-à-dire au moment où Islamabad multipliait les compromis, pour ne pas dire les compromissions, avec les talibans dont les appétits pour les concessions se sont révélés insatiables.
En effet, le Pakistan serait dans de bien meilleures conditions aujourd’hui, si, en mobilisant des milliers de ses soldats pour surveiller pendant de longues années le « désert des tartares » à la frontière indo-pakistanaise, ils les avaient envoyés combattre à temps le vrai ennemi, l’extrémisme nihiliste et suicidaire des talibans. Avec du recul, et si elles veulent réellement tirer les leçons erreurs passées, les autorités pakistanaises n’ont d’autre choix que de se rendre à l’évidence que « l’ennemi mortel » du pays n’est pas l’Inde, mais les hordes moyen-âgeuses qui ne cachent pas leur détermination à détruire le pays.
Certes, le divorce entre l’Inde et le Pakistan était très douloureux et les rancoeurs sont encore vives de part et d’autre. Mais ni l’un ni l’autre n’a intérêt à déstabiliser son voisin. Que l’on songe aux impératifs de développement économique et d’allègement du fléau de la pauvreté dans le sous continent indien, ou aux attentats meurtriers qui frappent indistinctement Bombay et Islamabad, le constat de bon sens qui s’impose est que les intérêts du Pakistan et de l’Inde résident dans l’entente et la coopération économique et non dans la méfiance et la rivalité nucléaire.

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