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Monday, August 24, 2009

Afghanistan, "cimetière des empires"?

Le carnage promis n’a pas eu lieu et les talibans ont été incapables d’empêcher le déroulement du scrutin jeudi dernier en Afghanistan. Certes il y a eu une trentaine de morts, un chiffre tout à fait banal pour un pays aussi violent que l’Afghanistan, et deux doigts coupés au sud de Kandahar, trahis par l’encre violette indélébile utilisée comme moyen d’éviter la fraude des votes multiples. Mais, pour une première élection organisé par un gouvernement afghan dans un contexte de haute instabilité, le résultat est jugé encourageant, même si le taux de participation, qui n’a pas dépassé les 50%, est bien en deçà de celui de la présidentielle de 2004, organisée par l’ONU, et qui avait drainé alors dans les bureaux de vote 70% des inscrits .
Les Etats-Unis, la Grande Bretagne et l’Otan ont exprimé leur soulagement, et le président Obama a été prompt à commenter l’événement en ces termes : « C’est un important pas en avant dans l’effort du peuple afghan de prendre le contrôle de son avenir, même si les violents extrémistes essayent de se mettre en travers. »
Les forces étrangères en Afghanistan semblent s’accrocher au moindre petit signe d’espoir pour se convaincre d’abord que la bataille menée dans ce pays depuis des années n’est pas vaine, et de persuader ensuite leurs opinions publiques, de plus en plus hostiles à cette guerre, que les sacrifices consentis en sang et en argent sont en train d’apporter les fruits escomptés. C’est ce qui explique l’exagération des responsables et des médias occidentaux de la « réussite » et du « succès » d’un scrutin où la moitié des électeurs sont restés terrés chez eux et l’autre moitié a voté à la sauvette.
Mais si le danger ne s’est pas matérialisé lors du déroulement du scrutin, il demeure plus que jamais menaçant, et il est même amplifié par les revendications contradictoires de victoire de la part des deux principaux candidats, Hamid Karzai et Abdullah Abdullah. Ces deux candidats n’ont pas dérogé à la coutume si répandue qui veut que, dans plusieurs pays, les candidats sont si impatients de vaincre qu’ils se déclarent vainqueurs bien avant la fin du dépouillement. Sur quelle base Karzai et Abdullah ont revendiqué chacun la victoire juste quelques heures après la fermeture des bureaux de vote ? Dieu seul le sait.
Même si Abdullah Abdullah était pendant quelques temps le ministre des Affaires étrangères de Hamid Karzai, rien au fond n’unit les deux hommes. Ni l’âge ni l’ethnie ni les choix politiques. Le premier est relativement jeune, le second a gagné beaucoup de rides pendant son premier mandat (2004-2009) ; le premier est un tadjik du nord de l’Afghanistan, le second un pachtoune du sud ; le premier refuse par principe tout dialogue avec les rebelles, le second est ouvert à une négociation avec les talibans « modérés ».
Les forces étrangères en Afghanistan et beaucoup d’Afghans regardent avec inquiétude cette rivalité entre les deux hommes. Ils redoutent une aggravation de la tension entre les partisans de Karzai et ceux d’Abdullalh qui risque de déboucher sur une guerre civile opposant Pachtounes et Tadjiks, gens du nord et gens du sud, au grand bonheur des talibans qui regarderaient en se frottant les mains leurs ennemis s’entretuer.
Cette perspective inquiétante n’étonnera personne si des fois elle se matérialise. Sur les trente dernières années, l’Afghanistan a été incontestablement le pays le plus violent de la terre et il n’est pas à une guerre près ni à une tragédie près. Beaucoup attribuent superficiellement cette histoire sanglante du pays au caractère belliqueux et à la nature montagnarde des Afghans. Ceux-ci ne sont pas plus violents ni plus belliqueux que les autres peuples. Leur malheur vient de la position géographique de leur patrie, coincée entre plusieurs pays beaucoup plus puissants (ex-Union soviétique, Pakistan et, dans une moindre mesure l’Iran). En décembre 1979, avec l’invasion soviétique, l’Afghanistan était victime d’un séisme géostratégique majeur dont les réverbérations continuent de secouer le pays vingt ans après l’effondrement de l’Union soviétique.
La violence en Afghanistan n’est pas une caractéristique de l’histoire récente du pays. Les Afghans ont toujours bataillé contre les envahisseurs étrangers au point que leur pays a été baptisé un peu pompeusement « cimetière des empires ». Les Etats-Unis, la grande Bretagne et l’Otan ne peuvent pas ignorer cette vérité. D’ailleurs des voix commencent à s’élever au sein de leurs hiérarchies militaires pour dire que la guerre est « ingagnable » et qu’il faudrait se retirer pour laisser les Afghans régler leurs problèmes.
C’est un fait que, pendant les rares périodes de paix et de stabilité qu’a connues le pays, les Afghans avaient institué leurs propres mécanismes de régulation des conflits, notamment la « Loya Jirga » (la grande assemblée), une sorte de conseil des sages représentatifs de toutes les ethnies qui discutent les différends qui se posent et leur trouvent des solutions dans le cadre d’un compromis. Ce sont les étrangers (Britanniques, Russes, Américains et Pakistanais notamment) qui sont responsables de la destruction des mécanismes traditionnels de régulation des différends et de l’introduction de la violence comme unique moyen de résoudre les conflits. La politique des talibans par exemple est étrangère à la culture et aux traditions du peuple afghan. Ce groupe aussi violent que fanatique a été inventé, entraîné et financé par les forces étrangères qui l’ont greffé en septembre 1996 sur le corps afghan. La greffe saigne toujours.
Peut-être les voix qui se lèvent en Occident demandant le retrait des forces étrangères ont-elles raison. De toute évidence, la paix en Afghanistan aura bien plus de chance de régner à travers un retour aux mécanismes traditionnels de résolution des conflits qu’à travers une élection présidentielle où les deux principaux candidats ont revendiqué chacun la victoire avant même que le dépouillement ne commence.

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