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Saturday, August 15, 2009

Les Gog, les Magog et le démagogue

Bien malin celui qui dira pourquoi exactement George W. Bush est entré en guerre contre l’Irak au printemps de 2003. Evidemment, son histoire d’armes de destruction massive lui-même n’y croyait pas. Restaient alors les trois raisons plausibles : le pétrole irakien, servir Israël en le débarrassant d’un ennemi « dangereux » et, enfin, sa relation compliquée avec son père, George H. Bush qu’il voulait à la fois venger de la tentative d’assassinat qu’aurait tramé contre lui Saddam Hussein, et surtout prouver qu’il était plus « hardi » que son père qui, se plaignait-on dans les milieux néoconservateurs, n’avait pas eu « assez de cran » pendant le guerre de 1991 pour mettre fin au régime irakien avant de retirer ses troupes.
Une quatrième raison vient s’ajouter aux trois sus-mentionnées. On l’a sue grâce au président Jacques Chirac qui, après la fin de son double mandat présidentiel, en a parlé à la presse. Pendant l’hiver 2002-2003, alors qu’il était en train de mobiliser ses forces et celles de ses amis britanniques pour attaquer l’Irak, Bush appela Chirac pour l’inviter à joindre la coalition formée par les Etats-Unis, la Grande Bretagne et quelques autres, car disait-il le plus sérieusement du monde « Gog et Magog sont à l’œuvre au Moyen-Orient… Les prophéties de la bible sont en train d’être concrétisées… Cette confrontation est voulue par Dieu qui veut utiliser ce conflit pour éliminer les ennemis de son peuple avant qu’une nouvelle ère ne commence. »
Ainsi parlait celui qui, pendant huit ans, était l’homme le plus puissant de la terre, celui qui dirigeait la plus grande puissance de tous les temps… Jamais dans l’histoire moderne, et peut-être même ancienne, un argument aussi démagogique n’a été invoqué pour engager une guerre.
On imagine aisément la stupéfaction de l’ex-président français après avoir écouté ces sornettes. Ne sachant trop de quoi son collègue américain parlait, Chirac appela à son secours un spécialiste suisse, Thomas Romer, théologien à l’université de Lausanne, qui lui expliqua la chose en ces termes : « Dans l’Ancien Testament, le livre d’Ezkiel parle dans ses chapitres 38 et 39 de la fureur divine contre Gog et Magog, forces sinistres et mystérieuses, qui menaçaient Israël. Jéhovah promit de les détruire impitoyablement. De son côté, le Nouveau Testament, dans son livre mystique de la révélation, décrit les préparatifs des Gog et Magog pour la guerre. Alors qu’ils se préparaient à attaquer Israël, un déluge de feu descendit du ciel et les détruisit. »
Visiblement Chirac n’était pas impressionné outre mesure par l’histoire des Gog et Magog, ni par le démagogue qui en faisait un argument de guerre au XXIe siècle, puisqu’il avait maintenu jusqu’au bout son refus de se joindre à la guerre d’agression contre l’Irak.
Ce sont donc ces arguments qui varient du plus cynique au plus débile qui ont été utilisés pour détruire un pays et condamner un peuple de 25 millions d’habitants à un enfer dont on ne sait ni quand ni comment il en sortira.
A un certain moment, le niveau de la violence en Irak est descendu si bas qu’on s’était pris à espérer la fin du calvaire irakien. On avait cru entrevoir le bout du tunnel. L’espoir a été vite déçu et le bout du tunnel s’est révélé un mirage. La violence a repris de plus belle, et ceux qui se trouvent derrière, en s’en prenant systématiquement à des cibles chiites, ont une idée bien précise derrière la tête : déclencher une nouvelle guerre confessionnelle comme celle provoquée en 2006 au lendemain de l’attaque contre la mosquée chiite au dôme doré de Samarra. Si, à Dieu ne plaise, les Chiites répondaient aux attaques subies aujourd’hui comme ils l’avaient fait en 2006, l’Irak échapperait difficilement cette fois à la partition.
Et l’armée américaine dans tout ça ? Elle vient de retirer ses 132.000 soldats des centres urbains irakiens et les a cantonnés dans des baraquements en attendant leur retrait que le président Obama a fixé pour fin 2011.
Si l’échéance fixée par Obama est respectée, l’armée américaine aura resté en Irak neuf ans avec un bilan terrifiant pour le peuple irakien et honteux pour le peuple américain. Neuf ans au cours desquels il a été procédé au massacre de centaines de milliers d’innocents, à la destruction systématique du pays, de ses infrastructures, de sa paix confessionnelle séculaire, de son tissu social, de son système éducatif, de son système de santé qui était parmi les meilleurs du monde arabe, et la liste des malédictions qui se sont abattues sur le peuple irakien est encore longue.
Neuf ans de guerre et d’occupation, neuf ans de drames subis quotidiennement par des millions d’êtres humains parce qu’un homme s’est retrouvé, après d’extraordinaires tribulations, à la tête du pays le plus puissant de la terre avec le pouvoir d’utiliser à sa guise une puissance de feu sans précédent. Neuf ans de catastrophes discontinues parce que George W. Bush, dans ses moments d’intense hallucination politico-religieuse, avait cru entendre Dieu le désigner comme son bras armé pour aller terrasser les Gog et Magog avant qu’ils ne mettent le Moyen-Orient à feu et à sang.
Mais ça fait longtemps que le Moyen-Orient est mis à feu et à sang : 1967, 1973, 1978, 1982, 1991, 2003, 2006, 2008, pour ne citer que les guerres les plus terrifiantes. Depuis des décennies donc, « les Gog et Magog sont à l’œuvre au Moyen-Orient », pour reprendre textuellement l’expression de George W. Bush. Toute la question est de savoir qui sont les Gog et Magog et qui sont les victimes ? La réponse est claire dans tous les esprits.

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