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Saturday, August 29, 2009

Etats en déliquescence

La rébellion houthiste du Yémen ne date pas d’hier. Ce mouvement, qui doit son nom à son fondateur Hussein Badreddine al Houthi, un chiite de tendance zaïdite, existe depuis au moins 1984. Son programme politique vise à créer un « imamat zaïdite » dans le nord du pays.
Cette rébellion pauvre dans un pays pauvre n’a pas suscité un intérêt excessif au-delà des frontières yéménites. Pendant des années, les forces gouvernementales tenaient à distance cette rébellion, l’empêchant de réaliser son objectif politique et la maintenant dans un état de faiblesse de manière à ce qu’elle ne puisse porter atteinte à l’intégrité politique et territoriale du pays. En septembre 2004, le gouvernement yéménite revendiqua la victoire après avoir tué le chef des rebelles houthistes, Bdreddine al Houthi. C’est son père qui le remplaça à la tête du mouvement et la rébellion reprit en 2005 et dura jusqu’en 2007, date de la conclusion d’un accord qui, à cause des violations répétées de la part des Houthistes, resta lettre morte.
En février 2008, avec la médiation du Qatar, Houthistes et gouvernement signèrent à Doha un accord pour … appliquer l’accord de 2007. Peine perdue. Les rebelles se montraient déterminés à avoir leur imamat zaïdite, ce qui obligea le gouvernement du président Ali Abdallah Salah de frapper un grand coup militaire. L’armée pourchassa les rebelles et les repoussa dans leurs derniers retranchements.
Le gouvernement yéménite aurait été sans doute très heureux s’il n’avait que les Houthistes à combattre. Il est confronté également à diverses insurrections tribales, connues surtout par leurs prises d’otages de touristes occidentaux, au mouvement sécessionniste du sud qui, près de deux décennies après la réunification du pays, veut imposer de nouveau l’indépendance des provinces du sud vis-à-vis de Sanaa, ainsi qu’aux tentatives d’Al Qaida d’installer ses réseaux dans le pays. Des informations de source occidentale font état de l’arrivée de plusieurs membres de l’organisation terroriste déguisés en réfugiés somaliens. Ceux-ci, qui se comptent en dizaines de milliers, constituent un autre défi pour le gouvernement yéménite qui a déjà bien du mal à répondre aux besoins fondamentaux de ses propres citoyens.
Beaucoup d’observateurs s’étonnent que le gouvernement du président Abdallah Salah tienne toujours et que l’Etat yéménite n’a pas fait faillite compte tenu de la grande disproportion entre les petits moyens militaires, économiques et financiers du pays et les grands défis auxquels il est confronté.
Le Fonds pour la Paix (Fund for Peace) établit chaque année une liste de ce qu’il appelle « Failed States », ce que l’on peut traduire par Etats défaillants ou Etats en déliquescence. La liste de 2009 comporte une série de 60 pays défaillants ou menacés de déliquescence qui va de la Somalie (numéro un) à la Zambie (numéro 60) en passant par l’Irak (numéro 6) et l’Afghanistan (numéro 7). Le Yémen occupe la dix huitième place dans cette liste. Peut-être l’année prochaine le Yémen aura un meilleur classement, mais d’ici là, il a bien d’autres défis à relever pour qu’il vienne à bout du principal trait qui caractérise les Etats en déliquescence, à savoir l’incapacité d’imposer le monopole de la violence légitime sur tout le territoire.
Mais le Yémen n’est pas le seul dans cette situation difficile, tant s’en faut. Sur les 60 pays de la liste du Fonds pour la Paix, 13 sont arabes et musulmans et 23 appartiennent à l’Afrique subsaharienne. Tous sont atteints à des degrés divers de ce qu’on peut appeler le syndrome somalien, ce virus dévastateur qui, depuis 1990, tente d’infecter les structures étatiques de certains pays arabes et africains dans le but d’élargir le plus possible les zones où règne l’anarchie.
Il est incompréhensible que la communauté internationale puisse se permettre le risque de laisser sévir l’anarchie pendant vingt ans dans un pays comme la Somalie. Ce n’est pas un hasard si tous les voisins de la Somalie se trouvent sur la liste des Etats menacés de déliquescence, preuve que le virus somalien est à l’œuvre. Al Qaida s’est révélée être un agent d’infection efficace. Ne pouvant évoluer que dans les zones où règne l’anarchie, il est donc normal que cette organisation terroriste tente de s’infiltrer là où elle décèle la moindre petite brèche provoquée par l’instabilité politique. Ses déplacements entre le Soudan, la Somalie, l’Afghanistan, l’Irak ou encore le Yémen prouve que cette organisation est toujours à la recherche de pays où elle pourrait contribuer à la déliquescence de l’Etat et à la progression de l’anarchie.
Tous les pays qui figurent sur la liste du Fonds pour la Paix ne sont pas victimes de problèmes internes. Certes, les menaces qui pèsent sur l’intégrité de pays comme le Yémen ou le Soudan sont d’origine essentiellement internes (conflits tribaux, peu de richesses à se partager et beaucoup de prétendants etc…). Mais si l’on prend le cas de l’Irak, sixième sur la liste des Etats en déliquescence, on constatera que la déstabilisation avancée dans laquelle se trouve ce pays est d’origine externe. Voilà un pays qui, avant 2003, n’avait rien à envier, en termes de stabilité et de sécurité, à la Suède ou au Japon, est devenu, suite à une agression étrangère, l’un des endroits les plus violents de la terre. Une violence qui consume tout sur son passage, y compris les occupants.
Mais qu’elle soit d’origine interne ou externe, la violence illégitime , surtout quand elle se déclenche dans un pays pauvre ou l’Etat dispose de peu de moyens, finit pratiquement toujours par provoquer un vide politique propice à l’anarchie. L’Etat et ses institutions, qui s’évanouissent sous les coups de boutoir des groupes armés, seront difficiles à reconstituer, comme le prouve l’exemple somalien.

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