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Monday, August 31, 2009

"Elections révolutionnaires" au Japon

A part un bref intermède en 1993-94 qui n’avait duré que dix mois au cours desquels une opposition hétéroclite avait tenté vainement de laisser son empreinte, le Japon, depuis 1954, avait toujours été gouverné par les conservateurs unis au sein du Parti Libéral Démocrate (PLD). Cette longue domination de la politique japonaise par ce parti n’est pas une incongruité quand on sait que le PLD qui, au lendemain de la deuxième guerre mondiale avait pris possession d’un pays exsangue, avait fait du Japon la deuxième puissance économique du monde.
Etant le principal artisan de ce miracle économique, il était donc normal que le PLD bénéficiât de la reconnaissance des Japonais, même si cette reconnaissance, de l’avis de certains, a été exagérément longue. Il y a tout lieu de croire que sans la profonde crise économique et financière qui a affecté le monde et qui n’avait pas épargné le Japon, le PLD n’aurait pas subi la cuisante défaite dans les élections législatives de dimanche dernier.
Depuis 1954, le Japon n’avait jamais connu un séisme politique aussi puissant que celui provoqué par les élections de dimanche. Ce séisme a engendré un véritable ras de marée, (tsunami disent les Japonais), en faveur de la principale formation de l’opposition, le Parti Démocratique du Japon (PDJ), dont le chef Yukio Hatoyama s’apprête à façonner « un nouveau Japon ».
L’écrasante majorité dont il dispose désormais dans la Chambre basse ( 308 députés sur 480) et au sénat lui permet de mener sans obstacles son ambitieux programme économique et politique.
En fait, pendant les 55 ans de règne du PLD, le Japon est passé par de nombreuses crises politiques et économiques sans que cela ne provoque une « révolte des électeurs ». Même pendant la « décennie perdue » (1990-2000) durant laquelle l’économie japonaise a stagné, le PLD s’est toujours arrangé pour s’assurer une majorité. Alors pourquoi maintenant assiste-t-on à ces « élections révolutionnaires », comme les a qualifiées le nouvel homme fort, Yukio Hatoyama ?
Il semble que les électeurs japonais ont finalement pris conscience de la profonde déstructuration de leur société : chômage, précarité du travail, évanouissement de la solidarité, inégalités sociales de plus en plus criantes, taux de suicide étonnamment élevé (30.000 par an), explosion du nombre des sans-abri, phénomène de la criminalité chez les plus de 60 ans dont beaucoup de ceux qui commettent leur forfait le font dans le but de se faire emprisonner et s’assurer ainsi toit et nourriture etc…
Pendant la campagne électorale, les responsables du PDJ ont su exploiter tous ces aspects négatifs qui ont rendu le Japon méconnaissable aux yeux de ses propres citoyens. Ils ont fait des promesses qui apparemment ont séduit l’écrasante majorité des électeurs : gel jusqu'en 2013 de toute hausse de la taxe sur la consommation ; diminution de 18 à 11% de l'impôt sur les petites et moyennes entreprises ; suppression des péages d'autoroutes et réduction des taxes sur l'essence ; gel de la réforme de la Poste (très impopulaire) ; augmentation du salaire minimum et création d’une retraite minimale garantie; création d'une allocation de 100.000 yens par mois (1400 dinars) pour les sans-emploi ayant épuisé leurs droits au chômage et suivant une formation ; interdiction de l'intérim, et donc de la précarité du travail, dans les usines et beaucoup d’autres promesses qui visent à rétablir la solidarité perdue et éliminer les tares engendrées par « les vents du fondamentalisme du marché », pour reprendre l’expression utilisée par M. Hatoyama au cours de sa campagne électorale. Il a répété sans arrêt pendant sa campagne que « l’économie globale a endommagé les activités économiques traditionnelles et détruit les communautés locales. » C’était suffisant pour séduire les électeurs qui ont finalement mis fin à ce que l’ancien président de l’université de Tokyo, Takeshi Sasaki n’a pas hésité à appeler « le système de parti unique ».
Mais le PDJ n’a pas séduit seulement par son programme de politique intérieure. Le parti vainqueur a promis également une refonte de la politique étrangère japonaise que beaucoup d’observateurs qualifient de « révolutionnaire ». Pendant les 55 ans de règne du PLD, Tokyo n’a jamais osé dire non à Washington sur quelque sujet que ce soit. Même sur le dossier de la présence militaire américaine à Okinawa, très impopulaire et très contestée par la population, le Japon a toujours gardé un profil bas.
La « révolution » en politique étrangère que le PDJ s’apprête à lancer consiste en deux axes essentiels : 1- « tenir tête » aux Etats-Unis sur le plan du l’ « unilatéralisme politique et du globalisme économique » ; 2- une approche intégrationniste avec les pays de l’Asie de l’est ( ASEAN, Chine, Corée du sud et Taïwan).
Ce changement important que le Japon s’apprête à introduire dans sa politique étrangère n’est pas sans danger pour le pays. Le futur Premier ministre semble en être pleinement conscient. Dans une tribune publiée le 27 août dernier dans l’International Herald Tribune, M. Yukio Hatoyama écrit : « Comment le Japon devrait-il maintenir son indépendance politique et économique et protéger ses intérêts nationaux quand il se trouve coincé entre les Etats-Unis, qui se battent pour garder leur position de pouvoir mondial dominant, et la Chine, qui cherche les moyens de devenir une puissance dominante ? » Par cette question, Yukio Hatoyama a résumé le principal défi auquel sera confronté le Japon et qui déterminera sa politique étrangère pour les décennies à venir.

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