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Wednesday, April 01, 2009

L'Otan et le lieutenant Drogo

C’était une idée canadienne au départ. Il y a bien longtemps, en 1949 exactement, les Canadiens proposèrent la création d’une structure de sécurité qui regrouperait les nations nord américaines et l’Union militaire européenne. Celle-ci était créée en 1948 par la France, la Grande Bretagne et les pays du Benelux pour se protéger contre une éventuelle résurgence du militarisme allemand.
L’initiative canadienne prit rapidement forme et devint la principale force de défense du « monde libre », sous le nom d’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Peu de temps après sa création, un général américain a usé d’une formule imagée pour expliquer la mission de la nouvelle structure sécuritaire : « To keep America in, Russia out and Germany down » (Garder l’Amérique dedans, la Russie dehors et l’Allemagne en bas).
Six ans plus tard, en 1955, cette mission ne consistait plus qu’à « garder l’Amérique dedans et la Russie dehors », puisque l’Allemagne fut admise comme membre à part entière et ses soldats côtoyaient désormais les troupes britanniques françaises, américaines et autres contre lesquelles ils s’étaient battus férocement une décennie plus tôt.
La guerre froide éclata en 1948 avec le coup d’état perpétré par les communistes en Tchécoslovaquie. La constitution de blocs militaires rivaux était inévitable, et le monde avait dû s’accommoder avec l’Otan à l’Ouest et le Pacte de Varsovie à l’Est. Ces deux blocs étaient excessivement équipés en armes conventionnelles, chimiques et nucléaires, de sorte que, s’ils s’en étaient venus aux mains, la planète aurait probablement été détruite par le feu atomique.
La chance de l’humanité était que l’Otan et le Pacte de Varsovie s’étaient regardés en chiens de faïence pendant quarante ans. En dépit d’une accumulation terrifiante de part et d’autre d’armes de toutes sortes, la Raison avait prévalu et aucune cartouche n’avait été tirée ni d’un côté ni de l’autre. Certes, les deux blocs s’étaient bien battus par pays pauvres interposés, en Asie, en Afrique et en Amérique latine, mais la confrontation directe n’avait pas eu lieu.
Quarante ans après, en 1989, le mur de Berlin s’effondrait et son effondrement avait provoqué des craquelures irréversibles dans les structures de l’URSS et du Pacte de Varsovie. Le père Bush, alors président des Etats-Unis, et son secrétaire d’Etat, James Baker, avaient réussi à convaincre Mikhaïl Gorbatchev, alors secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique, d’accepter la réunification de l’Allemagne, en lui faisant la ferme promesse que l’Otan n’avancerait pas d’ « un centimètre » en direction de la zone d’influence soviétique.
Promesse non tenue. Après l’effondrement de l’Union soviétique, les présidents américains Bill Clinton et George W. Bush s’étaient assis sur la promesse faite à Gorbatchev par Bush senior et avaient entamé l’élargissement de l’Otan qui, petit à petit, avait absorbé presque tous les pays de l’ancien Pacte de Varsovie, y compris les pays baltes. On comprend que la Russie ressente cela comme une stratégie d’encerclement et qu’elle soit en droit de se sentir menacée. Cette stratégie, mise en place par de piètres stratèges à Washington, était d’autant plus absurde que Moscou avait des choses autrement plus vitales à faire que de menacer les Européens de l’Ouest ou, encore moins, les Etats-Unis d’Amérique.
Vingt ans après l’effondrement du mur de Berlin, les membres de l’Otan se préparent à célébrer en grande pompe demain et après demain, à Strasbourg (France) et à Kehl (Allemagne), le 60eme anniversaire de l’Organisation atlantique. L’un des moments forts de cette célébration sera la réintégration solennelle de la France dans le commandement militaire intégré de l’Otan qu’elle avait quitté en 1966 sur décision de De Gaulle.
Ce qui est remarquable dans cette célébration est qu’elle ressemble à une scène tirée directement du théâtre de l’absurde. On réquisitionne deux grandes villes qu’on transforme en citadelles où défileront les délégations des pays membres ; on accueillera plusieurs chefs d’Etat à Strasbourg qui prononceront des discours qui seront chaleureusement applaudis ; on parlera stratégie et géopolitique et on analysera les situations explosives en Afghanistan et au Pakistan. Mais aucun des participants à la célébration de ce 60eme anniversaire ne pourra répondre de manière convaincante à une question simple : à quoi sert l’Otan ?
Certes, cette organisation militaire a fait la guerre contre la Serbie en 1999 et est engluée en Afghanistan depuis que Bush a commis son erreur mortelle de s’attaquer à l’Irak. Mais ni la Serbie ni l’Afghanistan ne font partie de la sphère des compétences de l’Otan dont la mission (contenir l’expansionnisme soviétique) s’est arrêtée le jour où le mur de Berlin s’est effondré. Depuis, l’Organisation atlantique, au lieu de s’autodissoudre, s’est laissée instrumentaliser par la politique étrangère américaine. Elle s’est trouvée engagée à deux reprises dans des guerres décidées par un seul de ses membres : les Etats-Unis.
Depuis vingt ans, l’Otan cherche désespérément un ennemi suffisamment puissant et crédible pour justifier son existence et ses dépenses. Les Russes et les Chinois ont d’autres chats à fouetter que de jouer aux « ennemis crédibles » de l’Otan dont les chefs n’ont d’autre choix que d’ordonner l’encerclement du désert des Tartares.
Dans le célèbre roman de Dino Buzzati, les troupes du lieutenant Drogo sont là, mais elles manquent terriblement d’ennemis. Drogo a résolu le problème en s’en inventant un : les Tartares. Drogo s’est convaincu et a convaincu ses troupes que ces hordes sauvages ne manqueront pas de surgir à tout moment de leur désert et de foncer sur la civilisation pour la mettre en pièces. Il ordonne à ses troupes d’encercler le désert et de tirer sans sommation sur tout Tartare suffisamment imprudent pour montrer le nez. Aux dernières nouvelles, les pays membres de l’Otan n’ont pas réussi à s’entendre sur le prochain patron de l’Organisation militaire. Peut-être n’ont-ils pas encore trouvé l’oiseau rare, l’homme qui a les caractéristiques du héros du « Désert des Tartares ».

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