airelibre

Monday, April 13, 2009

Crimes politiques en suspens

Imaginez un parrain de la mafia sicilienne qui vous fait chaque année un rapport sur les ravages occasionnés à la santé physique et mentale des gens par la consommation de la drogue dans le monde. Nonobstant le caractère absurde et quelque peu comique de cet exemple, il sied parfaitement à l’administration de George W. Bush qui, pas une année de son long règne chaotique n’a oublié de publier et de distribuer dans toute la planète son rapport extrêmement détaillé sur l’état des droits de l’homme dans le monde.
Sous Colin Powell et Condoleezza Rice, les deux ministres des affaires étrangères successifs de Bush, le département d’Etat a rédigé avec un zèle étonnant et dans les moindres détails les abus commis dans le monde en matière de droits de l’homme, ce qui laisse sous entendre l’idée que les Etats-Unis étaient alors un modèle disposant de l’autorité morale nécessaire pour se poser en donneurs de leçons aux autres gouvernements.
Il est pathétique qu’au moment où le département d’Etat préparait le rapport sur les droits de l’homme pour l’année 2002, par exemple, l’administration Bush était en pleine campagne de désinformation et de manipulation politique pour se munir du prétexte qui devait lui ouvrir la voie à l’agression militaire contre un pays et un peuple situés à 10.000 kilomètres des Etats-Unis et qui n’ont fait aucun mal au peuple américain. Le seul malheur de l’Irak était d’avoir les deuxièmes réserves pétrolières du monde et un régime politique abhorré à Washington. Ces deux caractéristiques, combinées à la soif inextinguible de pétrole de la société américaine, ont constitué un mélange explosif qui a fini par détruire l’Irak et par forcer son peuple à une descente aux enfers.
Il est pathétique qu’au moment où le département d’Etat commençait à distribuer son rapport sur l’état des droits de l’homme pour 2002, George Bush signait le 7 février 2003 un décret déniant l’application des Conventions de Genève aux « ennemis combattants », et au moment de la distribution du rapport de l’année suivante, éclataient comme un coup de tonnerre, en avril 2004, les abus terrifiants commis par l’armée américaine sur les détenus irakiens à la prison d’Abou Ghraib.
Il est tout aussi pathétique qu’au moment où le département d’Etat distribuait cette année son rapport sur l’état des droits de l’homme pour l’année 2008, un rapport d’un autre genre, ultra secret, du Comité International de la Croix Rouge (CICR) tombait entre les mains du journaliste américain, Mark Danner, qui l’a mis à la disposition du public sur le site de la New York Review of Books (www.nybooks.com).
La lecture de ce rapport est un véritable cauchemar. Des détenus aux mains de la CIA ont été soumis à une torture telle que la mort paraissait une délivrance. Ils étaient entièrement nus non seulement pendant les interrogatoires, mais durant des semaines, voire des mois, dans des cellules bien refroidies par des climatiseurs. Les habits étaient pour les détenus de la CIA « un privilège » dont bénéficiaient seulement ceux qui se montraient « coopératifs ».
La simple lecture de la description des techniques par lesquelles les interrogateurs de la CIA infligeaient la douleur physique à leurs prisonniers est insoutenable. La technique la plus terrifiante décrite dans le rapport secret du CICR est celle dite du « waterboarding », ou simulation de noyade. Elle consiste à attacher fermement le détenu par des ceintures sur un lit et à couvrir son nez et sa bouche avec un tissu sur lequel le tortionnaire verse de l’eau contenue dans une bouteille. Le tissu, une fois mouillé, colle au nez et à la bouche et empêche l’air de pénétrer. Commencent alors les convulsions du détenu qui est envoyé ainsi « au seuil de la mort ». Et de fait, les détenus « débriefés » par le CICR affirment avoir vu à maintes reprises la mort de très près.
Le plus choquant est que cette séance de torture insoutenable est faite en présence de membres du « corps médical » américain muni d’ « appareils de mesure de la quantité d’oxygène dans le sang ». La présence de ces « médecins » qui ont fait le serment d’Hippocrate avait pour but d’assurer que le détenu aille jusqu’au bout de la souffrance sans trépasser. Car ce sont eux qui décident quand le tortionnaire doit arrêter de verser de l’eau sur le tissu…
Le président Barack Obama s’efforce de réparer l’image, la réputation et la crédibilité des Etats-Unis, gravement endommagées par la politique de son prédécesseur. C’est un fait indéniable qu’aux yeux du monde entier l’administration de George W. Bush a commis non seulement des abus contre les droits de l’homme, bien pire que ceux décrits dans les rapports annuels du département d’Etat, mais aussi des crimes de guerre contre l’Irak et le peuple irakien. De nombreux crimes politiques qui restent en suspens.
La question qui se pose est la suivante : est-il possible pour les Etats-Unis de rétablir leur réputation et leur crédibilité dans le monde sans faire le ménage chez eux. C'est-à-dire sans demander des comptes aux responsables des crimes de guerre commis sans raison contre les Irakiens, et des violations délibérées des Conventions de Genève à Abou Ghraib, Guantanamo et ailleurs. Tout le monde sait que les vrais responsables sont George Bush, Dick Cheney, Donald Rumsfeld et quelques autres.
Or ceux-ci, comme si de rien n’était, mènent une vie paisible et confortable aux frais du contribuable américain qu’ils ont manipulé et trompé à volonté pendant les huit dernières années. Barack Obama a des contraintes intérieures très sérieuses qui font qu’il lui est difficile de s’aliéner les élus républicains sur l’appui desquels il compte pour faire face à une grave crise économique.
Mais quelles sont les contraintes de la justice internationale ? Pourquoi traîne-t-elle devant ses tribunaux Slobodan Milosevic et Charles Taylor et ignore-t-elle superbement George Bush et Dick Cheney dont la politique a eu des conséquences bien plus graves sur la vie de millions d’êtres humains que les politiques du dictateur serbe ou du bandit libérien ? La réponse est simple : il n’y a pas une justice mais deux. Une pour les puissants et une pour les faibles. A moins que le procureur Ocampo ait instruit dans le plus grand secret le dossier de Bush et qu’il l’ait mis sur la liste d’attente de la Cour pénale internationale, juste derrière le président soudanais…

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