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Wednesday, April 15, 2009

Arrêtez-le ou il fait un malheur

Les jérémiades israéliennes concernant l’intention attribuée à l’Iran de se doter de l’arme nucléaire ne datent pas d’hier. Il y’a 17 ans déjà, en 1992, juste quatre ans après la fin de la guerre Iran-Irak qui avait ruiné les deux pays, Shimon Peres avait prédit que l’Iran aurait sa bombe atomique en 1999. Et en 1996, le même Peres avait affirmé que « l’Iran est le centre du terrorisme, du fondamentalisme et de la subversion, et est à mes yeux plus dangereuse que le Nazisme, parce que Hitler ne disposait pas de l’arme nucléaire alors que les Iraniens s’efforcent d’en posséder une. »
Si en 1992 Shimon Peres avait donné aux Iraniens sept ans pour mettre au point leur bombe, en 1996 Ehud Barak, lui, était un peu plus généreux puisqu’il leur avait donné huit ans, fixant la mise au point de l’arme atomique iranienne pour 2004. (1)
Nous avons cité seulement ces deux là, mais, cela va sans dire, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Israël, une pléthore d’hommes politiques et de journalistes, obsédés par la bombe iranienne, s’efforcent jusqu’à ce jour, chacun de son côté, d’apporter sa petite contribution à la mobilisation de l’humanité entière contre ce qu’ils considèrent comme le principal danger qui la guette. Chacun à son niveau et en fonction de sa spécialité s’efforce de prévoir quand la bombe sortirait des laboratoires nucléaires de l’Iran, dans le cas où le genre humain continuerait à se croiser les bras et à regarder ailleurs. Cependant, nul dans cette pléthore ne veut entendre parler du rapport de la CIA qui, il y a deux ans, nous informait que les autorités iraniennes avaient mis fin à leur programme nucléaire militaire en 2003…
Le dernier représentant de ces Cassandre à prendre la parole est le tout neuf Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu. Dans une interview accordée au journaliste américain Jeffrey Goldberg (2), Netanyahu affirme : « Vous ne voulez pas qu’un pays qui a le culte du messianisme apocalyptique contrôle des bombes nucléaires. Quand un fanatique entre en possession d’armes de destruction massive, le monde entier doit s’inquiéter. »
Le Premier ministre israélien assigne « deux grandes missions » au président Obama : « traiter la crise économique et empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire. » Suit un ultimatum insolent : « Le président américain doit s’opposer à l’acquisition d’armes nucléaires par l’Iran – et vite-, sinon Israël serait forcé d’attaquer lui-même les installations nucléaires iraniennes. »
Dans son délire, Netanyahu sait non seulement ce que le président américain a à faire, mais, plus étonnant encore, il sait ce que les pays arabes veulent exactement. « Presque tous les régimes arabes », affirme-t-il dans l’interview sus-mentionnée, « sont résolument opposés à l’acquisition par l’Iran de l’arme nucléaire. Ils souhaitent ardemment, même s’ils ne le disent pas, que les Etats-Unis agissent pour empêcher cela, qu’ils utilisent leur pouvoir politique, économique, et, si nécessaire, militaire pour empêcher que cela n’arrive. »
Sans doute y a-t-il des divergences d’ordre politique et stratégique entre l’Iran et certains pays arabes, mais, conclure que ceux-ci « souhaitent ardemment » un bombardement de l’Iran, cela relève d’une campagne d’intoxication par laquelle l’establishment israélien cherche désespérément à faire croire que le principal ennemi des Arabes n’est pas Israël mais l’Iran.
Le principal ennemi des Arabes n’est pas l’Iran, mais Israël. Non pas parce que les Arabes détestent les juifs, loin de là. Les juifs avaient été accueillis à bras ouverts par les Arabes quand ils fuyaient l’inquisition espagnole. Ils avaient vécu des siècles en toute sécurité dans pratiquement tous les pays arabes au moment où leurs coreligionnaires vivant en Europe tombaient massivement victimes de l’antisémitisme.
N’en déplaise à Netanyahu, le principal ennemi des Arabes n’est pas l’Iran mais Israël. Parce que ce n’est pas l’Iran qui occupe depuis 42 ans par le fer et le feu les territoires arabes, mais Israël. Ce n’est pas l’Iran qui envoie pour un oui ou pour un non ses bombardiers semer la mort et la destruction chez les Arabes, mais Israël. Ce n’est pas l’Iran qui détient 11000 prisonniers palestiniens dans ses prisons, mais Israël. Ce n’est pas l’Iran qui pointe 200 têtes nucléaires sur la tête des Arabes, mais Israël.
N’en déplaise à Netanyahu, les régimes arabes ne souhaitent pas ardemment que les Etats-Unis bombardent l’Iran et créent ainsi un autre cataclysme dans la région, mais ils désirent ardemment que les Etats-Unis utilisent, pour une fois sérieusement, leur pouvoir économique et politique pour amener Israël à restituer ce qu’il a confisqué par la force et à se conformer comme tout le monde au droit international. Les pays arabes désirent ardemment que le monde, au lieu de s’inquiéter des spéculations relatives aux capacités nucléaires de l’Iran, oblige Israël à ouvrir les portes de Dimona à l’inspection de l’AIEA. Ils souhaitent ardemment que le monde s’occupe d’abord des deux cent têtes nucléaires pointés depuis des décennies sur la tête des Arabes plutôt que de perdre son temps en conjectures et en spéculations sur le programme nucléaire iranien dont, jusqu’à ce jour, nul n’a la preuve tangible qu’il a pour finalité de produire la bombe atomique.
Le patron de l’AIEA, Mohammed El Baradei, qui, en 2002-2003, avait mis en garde les Etats-Unis contre le désastre qui les attendait, s’ils prenaient le risque d’envahir l’Irak, monte encore une fois au créneau. Il avertit aujourd’hui contre un autre désastre : « Israël serait totalement fou d’attaquer l’Iran. Cela me préoccupe. Si les Israéliens bombardent, ils transformeront la région en une boule de feu et pousseront l’Iran dans une course effrénée vers l’arme nucléaire avec l’appui de tout le monde musulman.»
Le problème est que Netanyahu n’est ni moins fanatique ni plus intelligent que Bush. Il faut crier tous d’une même voix à l’intention d’Obama : « arrêtez-le ou il fait un malheur ».

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(1) Voir l’article de Roger Cohen « Israel cries wolf » (Israël crie au loup) dans l’International Herald Tribune du 9 avril 2009.
(2) Interview parue dans le magazine américain « The Atlantic » le 31 mars 2009.

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