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Saturday, January 16, 2010

L'inévitable entente du dragon et de l'éléphant

En 1962, la tension entre la Chine et l’Inde avait atteint des proportions telles que la guerre était devenue inévitable. Et de fait, elle éclata entre les deux pays, à la fois très peuplés et très pauvres, et qui, tous deux, passèrent à la fin des années 1940 par de grandes convulsions politiques et sociales : la partition de l’Inde qui aboutit à la création du Pakistan, et la guerre civile en Chine qui aboutit au triomphe de la révolution maoïste.
Il n’était pas très rationnel que deux pays voisins, déjà les plus peuplés de la terre, et excessivement pauvres, perdissent autant d’énergies et de ressources dans une guerre autour d’un contentieux frontalier qui aurait pu être gelé en attendant des jours meilleurs pour être réglé pacifiquement. Mais, à ce niveau, la psychologie des Etats n’est pas très différente de celle des hommes. Quand deux individus sont en litige et perdent leur sang froid, ils en viennent le plus souvent aux mains. Et quand deux Etats sont en litige et perdent leur sang froid, ils entrent le plus souvent en guerre. Et c’est ce qui s’est passé entre la Chine et l’Inde en 1962. Les deux voisins s’étaient affrontés militairement pendant 32 jours, et le conflit s’était conclu par la défaite de l’Inde.
Depuis, le dragon chinois et l’éléphant indien se sont tournés le dos, appliquant à la lettre l’adage : l’ennemi de mon ennemi est mon ami. Le Pakistan étant l’ennemi de l’Inde, devint un allié de Pékin, et l’Union soviétique étant l’ennemi idéologique juré de la Chine, devint une amie très proche de New Delhi.
Après l’effondrement de l’Union soviétique, le potentiel d’amitié et de sympathie qu’avait l’Inde pour Moscou s’est progressivement déplacé vers Washington, atteignant son apogée en 2006 avec la signature entre les Etats-Unis et l’Inde d’un important accord nucléaire. La Chine avait très mal pris cet accord et avait manifesté sa mauvaise humeur en permettant à son ambassadeur à New Delhi d’utiliser l’appellation « Sud Tibet » pour désigner l’Etat indien d’Arunachal Pradesh, un langage jamais utilisé par un officiel chinois depuis la guerre de 1962.
Pour l’heure, bien que gelé, le contentieux territorial entre les deux pays reste entier. La Chine continue de soutenir que l’Etat indien d’Arunachal Pradesh fait partie du Tibet, donc de son territoire, et l’Inde continue de revendiquer son droit de souveraineté sur une large partie du Cachemire contrôlée par Pékin.
Mais en dépit de ces vicissitudes de l’histoire et de la géographie, le dragon chinois et l’éléphant indien ont, depuis des années, cessé de se regarder en chiens de faïence parce qu’ils ont compris l’immense intérêt qu’ils ont à coopérer plutôt qu’à s’ignorer.
Bien que Pékin continue de regarder d’un mauvais œil les bonnes relations qu’entretiennent New Delhi et Washington, bien qu’une bonne partie des Indiens continue de considérer la Chine comme le plus grand danger, et, selon une récente étude, 40% des Chinois considèrent l’Inde comme le plus grand danger, les deux géants asiatiques semblent s’être rendus à l’évidence que les défis communs qui nécessitent leur coopération sont beaucoup plus importants que les désaccords qui les séparent.
A eux deux, ces deux pays comptent le un tiers de l’humanité, et peut-être même un peu plus. Quand une masse humaine d’une telle taille vit sous la responsabilité de deux Etats seulement, quand ceux-ci sont appelés à eux seuls à résoudre les problèmes d’eau, de nourriture et d’environnement du tiers de l’humanité, pour ne citer que les problèmes les plus urgents, ce ne sont plus les deux pays qui constituent un danger l’un pour l’autre, mais leur rivalité qui constituent un danger pour les peuples chinois et indien.
Le développement spectaculaire des deux économies semble avoir transformé l’ancienne rivalité en une sorte d’émulation qui a permis d’accroître les échanges commerciaux entre les deux pays à un niveau qui a dépassé les prévisions les plus optimistes. Le volume des échanges qui était de 15 milliards de dollars en 2005 a atteint 40 milliards de dollars en 2009, et l’on parle de 60 milliards de dollars cette année…
Cette tendance à la coopération a toutes les chances de se poursuivre, d’autant que les craintes chinoises d’une alliance stratégique entre New Delhi et Washington semblent s’être éclipsées après le départ de George W. Bush de la Maison blanche. D’ailleurs les craintes ont même changé de camp après la visite d’Obama en Chine suivie d’une visite du Premier ministre indien à Washington. Les résultats de ces visites ont suscité une blague que l’on se raconte à New Delhi : « La Chine signe des accords, le Pakistan reçoit les fonds et l’Inde a droit à un bon dîner » (allusion au dîner officiel donné par Obama en l’honneur du premier ministre indien).
Dans les années à venir, et tant qu’ils dépendent financièrement de leur banquier chinois, les Etats-Unis ont un intérêt objectif à maintenir de bonnes relations avec les deux puissances asiatiques et de s’abstenir de favoriser l’une d’elles par rapport à l’autre. Cela dit, l’influence de Washington en Asie se réduit au rythme de la montée en puissance de la Chine et de l’Inde. Pour la première fois dans l’histoire moderne, l’avenir de l’Asie est entre les mains des Asiatiques et non des Occidentaux.

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