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Monday, January 18, 2010

Haïti: un désastre partiellement naturel

Les Haïtiens ne se sont pas relevés encore des ravages occasionnés par le terrible ouragan qui a frappé le pays en 2008, et voilà qu’un séisme d’une ampleur inconnue dans la région transforme la quasi-totalité des villes haïtiennes en ruines. Pour la plupart des habitants de ce pays meurtri, il n’y a qu’une explication et une seule : Dieu est furieux contre les Haïtiens et est en train de les punir.
A côté de cette explication métaphysique, il y a des explications climatiques et géologiques qui permettent de comprendre l’acharnement de la nature contre ce pays, l’un des plus pauvres de la planète. La région des Caraïbes est connue pour ses ouragans, et celui qui a frappé Haïti en 2008 n’avait rien d’extraordinaire. Il en est de même des séismes. L’île Hispaniola dans les Caraïbes a la particularité politique peu commune d’être partagée par deux Etats indépendants : Haïti et la République dominicaine. Mais elle a aussi la particularité géologique d’être située sur une faille où « l’affrontement » des plaques tectoniques Caraïbe et Amérique produit une intense activité sismique.
Les catastrophes provoquées par l’ouragan du 7 septembre 2008 et par le séisme du 12 janvier 2010 sont des phénomènes naturels, mais leur ampleur terrifiante observée à Haïti n’est pas naturelle. La première question qui vient à l’esprit est pourquoi l’ouragan qui a frappé Cuba et Haïti avec la même violence a fait 8 morts chez les Cubains et 800 morts chez les Haïtiens ? La deuxième question qui nous interpelle est pourquoi des séismes plus violents ailleurs font-ils nettement moins de dégâts que ceux qu’on observe maintenant avec consternation et incrédulité à Haïti ?
La réponse se trouve dans l’histoire chaotique de ce pays, né de la révolution des esclaves originaires de l’Afrique de l’ouest et déracinés massivement par le colonialisme français. Cette révolution menée en 1804 avait abouti à la création d’un Etat indépendant géré par les descendants des esclaves africains. Mais il n’est pas nécessaire de remonter aussi loin dans l’histoire pour comprendre les malheurs actuels de Haïti.
Une succession de régimes corrompus et incompétents, dont le plus tristement célèbre, celui de « Papa Doc » et « Baby Doc » Duvalier, ont empêché Haïti de se doter du minimum d’infrastructures et d’engager un processus minimal de développement qui aurait permis au peuple haïtien de sortir de l’extrême dénuement dans lequel il vit depuis deux siècles. A cela s’ajoute l’ingérence américaine dans les affaires haïtiennes, consistant à soutenir fermement les Duvalier père et fils et leurs sinistres milices les « Tontons macoutes » dans le but d’empêcher Haïti de suivre l’exemple de Cuba. Cette ingérence s’est poursuivie avec l’aide apportée aux instigateurs du coup d’état contre le président Jean Bertrand Aristide en 1991.
Sans véritable appareil de production, Haïti a été littéralement happé par le piège du dumping de l’ « aide » alimentaire qui a ruiné les paysans. Ceux-ci n’avaient d’autre choix que d’abandonner leurs terres et de s’engager dans un mouvement d’exode rural massif qui a fait passer la population de la capitale Port-au-prince de 50.000 dans les années 1960 à plus de deux millions aujourd’hui.
Cet exode massif des campagnes vers les villes a engendré tout naturellement le développement anarchique d’immenses bidonvilles où les critères les plus élémentaires de sécurité et les règles les plus simples relatives à la composition et au dosage des matériaux de construction ne sont pas pris en compte.
Dans ces conditions, il n’est guère étonnant qu’un même ouragan fait 800 morts à Haïti et seulement 8 victimes à Cuba. On comprend aussi que le séisme, très violent certes, détruise la quasi-totalité du pays en quinze secondes, « comme s’il avait subi des bombardements continus pendant quinze ans », selon la formule du président haïtien René Préval.
Le désastre de Haïti n’est donc que partiellement naturel. Car s’il a été provoqué par des convulsions géologiques qui caractérisent le sous-sol haïtien, il a été amplifié par les convulsions sociales et politiques qui n’ont cessé de secouer le pays depuis sa création et l’ont empêché de se doter des moyens économiques et infrastructurels adéquats de nature à limiter les dégâts des séismes.
L’aspect positif, si l’on peut dire, de cette tragédie biblique haïtienne est qu’elle a suscité un élan de solidarité internationale rarement observé. Tout le monde semble affecté par cette tragédie et les pays font la queue pour aider les Haïtiens. Tout le problème est de savoir comment faire parvenir cette aide aux nécessiteux avec des hélicoptères pour seul moyen de transport ? Tout le problème est de savoir comment empêcher que la colère légitime des survivants n’engendre des batailles rangées pour une miche de pain ou une bouteille d’eau. Des journalistes présents sur place ont décrit comment les machettes ont été tirées pour s’approprier le premier colis lancé par un hélicoptère.
Deux pays doivent assumer la plus grande responsabilité dans cette phase tragique de l’histoire de Haïti, de par leurs relations historiques avec ce pays : l’Amérique et la France. La première a engagé la plus grande opération de secours humanitaire de son histoire en envoyant des milliers d’hommes et en allouant des sommes d’argent substantielles. La seconde n’est pas restée les bras croisés. Elle s’est aussi engagée dans un processus d’aide massive pour les survivants haïtiens, et s’efforce de réunir une conférence internationale en mars pour la reconstruction de Haïti.
Il n’est pas encore temps de penser à la reconstruction tant les secouristes et les bulldozers ont encore des tâches titanesques à accomplir. Mais, il faut d’ores et déjà souligner que si la destruction d’un pays engendre nécessairement des millions de tragédies personnelles et familiales, il faut transformer cette destruction à grande échelle en une opportunité de reconstruction à grande échelle, mais une reconstruction sur des bases solides avec une idée directrice : ne jamais permettre à nouveau qu’un grand désastre naturel se transforme en une catastrophe sociale plus grande encore.

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