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Saturday, January 30, 2010

Si c'était à refaire, il le referait

Un chauffeur fou s’amuse à rouler à contre sens sur l’autoroute tout en écoutant la musique diffusée par la radio. Soudain, la musique s’arrête et une voix grave prend le relais pour mettre en garde les automobilistes : « Attention, attention, il y a un fou qui roule à contre sens sur l’autoroute ! » Et notre chauffard qui lui répond du tac au tac : « Imbécile, il y a soixante mille fous qui roulent à contre sens. »
C’est cette blague qui vient tout de suite à l’esprit à la lecture des comptes rendus de l’événement qui a marqué vendredi dernier la Grande Bretagne : le témoignage de l’ancien Premier ministre Tony Blair devant la commission Chilcot, chargée de la recherche de la vérité sur l’entrée de l’armée britannique dans la guerre d’Irak, décidée par l’ancien président américain, George W. Bush.
Pourtant Tony Blair n’était pas un fou. Il a commencé une brillante carrière politique à la tête du parti travailliste britannique qu’il a mené à la victoire trois fois de suite. Il a redynamisé l’économie britannique, replâtré les systèmes éducatifs et de santé gravement malmenés par l’idéologie thatchérienne, il a apporté la paix à l’Irlande du nord etc…Mais toutes ces réalisations ont été enterrées sous les ruines engendrées par la guerre d’Irak dont les conséquences désastreuses hanteront sans doute Tony Blair, qu’il le veuille ou non, pour le restant de ses jours.
Ni les gens de la commission Chilcot, ni le public n’escomptaient de révélations fracassantes, mais beaucoup en Grande Bretagne, et surtout les parents des 179 soldats morts sur le champ de bataille, espéraient un petit geste de compassion envers les victimes, un petit mot d’excuse ou de regret. Rien. Blair était défiant, arrogant, agressif même, droit dans ses bottes et répétant haut et fort qu’il avait raison d’aller en guerre contre Saddam et que si c’était à refaire, il le referait !
Blair a donc raison de partir en guerre contre Saddam et s’étonne que des millions et des millions en Grande Bretagne et dans le monde ne soient pas de son avis. Un peu comme le chauffeur fou de l’autoroute qui s’étonne qu’il y’ait 60.000 automobilistes qui roulent à contre sens. L’air méprisant, arrogant et défiant qu’il affichait vendredi devant la commission Chilcot, sa manière de tourner obstinément le dos au public comme s’il n’existait pas, suggère qu’il en veut au monde entier pour son ingratitude envers celui qui a sauvé l’humanité entière du mal absolu représenté par Saddam et ses deux fils.
« Si on me demande si nous sommes mieux protégés aujourd’hui, si l’Irak se porte mieux, si notre sécurité est mieux assurée, alors ma réponse est oui en effet », disait Blair hier, avec la détermination du fanatique qui croit fermement posséder la vérité absolue. Les armes de destruction massive ? L’histoire de leur utilisation en moins de 45 minutes ? Sa rencontre avec Bush dans le ranch de celui-ci au Texas en avril 2002 pour mettre au point les derniers détails de la guerre ? Sa pression sur l’homme de loi, Lord Goldsmith, pour qu’il se rétracte après avoir souligné l’illégalité de la guerre sans une résolution claire des Nations-Unies ? Blair écarte toutes ces questions d’un revers de la main : « Il ne s’agit ni de mensonges, ni de conspiration, ni de manipulation, ni de tricherie. Il s’agit d’une décision. » La décision de faire la guerre quel que soit le degré de l’opposition manifestée par des millions de personnes, quel que soit le résultat de l’enquête des experts dépêchés par l’ONU en Irak.
Certes en 2002, il n’y avait pas que Blair pour croire que le monde serait meilleur sans Saddam Hussein. Le problème est que Blair continue d’afficher la même conviction après que sa guerre contre « Saddam et ses fils » ait tourné au cauchemar. Le problème est qu’il refuse de voir que des millions d’Irakiens ont perdu la vie ou sont handicapés jusqu’à la fin de leurs jours. Que des millions d’Irakiens ont tout perdu et qu’ils vivent désormais soit dans l’enfer irakien soit dans l’enfer de l’exil. Que sept ans après le déclenchement de la guerre, les attentats suicide à la voiture, au camion ou au bus piégés continuent d’ensanglanter Bagdad et de détruire bâtiments publics et maisons privées. Que les systèmes éducatif et de santé et le gros des infrastructures d’un pays de 25 millions d’habitants sont détruits. Que toute une génération d’Irakiens est perdue. Tous ces désastres provoqués par la guerre, Blair ne les voit pas. Il voit une seule et unique chose : il a débarrassé la planète de Saddam et de ses fils et que le monde doit lui être reconnaissant.
L’erreur est humaine. Tout le monde peut se tromper et ce n’est sans doute pas la première fois qu’on déclenche une guerre qu’on n’aurait pas dû déclencher. Mais persister dans l’erreur, se battre avec un tel acharnement pour dire qu’on a raison contre tout le monde, en dépit des évidences dévastatrices de l’Irak, cela dépasse l’entendement. Sir John Chilcot, le président de la commission d’enquête, sans doute par pitié pour ce pauvre Blair, lui tend une ultime perche : « Avez-vous des regrets ? » Non, Blair n’a pas de regrets. Arrogant, mais cohérent. On ne peut pas avoir raison contre tout le monde et dans le même temps éprouver des regrets.
D’aucuns se demandent comment se fait-il que ce poids léger de la guerre d’Irak soit convoqué par des commissions d’enquête alors que le poids lourd, le premier responsable de cette guerre, coule des jours heureux dans son ranch texan sans que la moindre commission ne songe à lui poser la moindre question ? C’est qu’au pays du puritanisme pur et dur, et pour prendre les exemples de Bill Clinton et de George W. Bush, il est nettement plus grave d’avoir une aventure sexuelle avec une adulte consentante au bureau ovale que de mettre le monde sens dessus dessous.

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