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Saturday, December 27, 2008

Les nobles batailles du citoyen Pinter

Il aurait pu finir sa vie en Lord, mais il avait refusé d’être anobli par la reine. Il avait sans doute peur que l’anoblissement ne compromette un demi siècle de labeur, de créativité et d’activisme politique en faveur de la vérité et de la justice. Il redoutait sûrement qu’un tel anoblissement ne le réconcilie avec l’ « establishment » et ne le mette en porte à faux avec les nobles principes qu’il a défendus sa vie durant. Harold Pinter est donc mort en simple citoyen, préférant la noblesse de l’âme aux titres de noblesse.
Harold Pinter n’est pas seulement un auteur prolifique et un dramaturge talentueux qui a marqué toute une génération et dont la notoriété a franchi depuis longtemps les frontières de la Grande Bretagne. Il est aussi un activiste politique qui a infatigablement pourfendu les « establishments » britannique et américain dont les politiques intérieures et extérieures dérangeaient sérieusement son sens profond de la justice et son respect infaillible de la vérité.
En 1958, il écrivait ceci : « Il n’y a pas de distinctions strictes entre ce qui réel et ce qui est irréel, ni entre ce qui est vrai et ce qui est faux. Une chose n’est pas nécessairement vraie ou fausse ; elle peut être à la fois vraie et fausse. » Près d’un demi siècle plus tard, en recevant le Prix Nobel de littérature, Harold Pinter avait rappelé ces assertions en expliquant toutefois qu’il y croit encore en tant qu’écrivain « parce qu’elles s’appliquent à l’exploration de la vérité à travers l’art », mais qu’il n’y croit pas en tant que citoyen.
En tant que spectateur engagé, en tant que témoin actif des drames de son temps, Harold Pinter ne peut pas bien sûr soutenir que George Bush et Tony Blair ont à la fois tort et raison ou que Abou Ghraib et Gantanamo sont à la fois réels et irréels. Bien au contraire, il a qualifié Bush de « criminel de guerre » et Blair d’ « idiot plein d’illusions », et les drames de la prison irakienne et de celle des Caraïbes l’ont profondément affecté dans sa « dignité d’homme ».
L’activisme politique de Harold Pinter n’est pas né avec « la grande manipulation » qui a précédé l’invasion de l’Irak par les troupes américano-britanniques. Dans les années 1980, il était déjà un critique acerbe des politiques de Ronald Reagan aux Etats-Unis et de Margaret Thatcher en Grande Bretagne. En tant qu’écrivain et en tant que citoyen résolument engagé envers les causes justes, il ne pouvait pas se taire face au démantèlement systématique des acquis sociaux entrepris en étroite collaboration entre Washington et Londres à l’époque sous la houlette du vieil acteur hollywoodien et de l’intraitable « dame de fer ».
L’année 2002 est sans doute l’année la plus dure dans la vie du dramaturge britannique. C’était l’année où il a commencé ses deux ultimes batailles : la bataille personnelle contre le cancer de la gorge qu’il venait de découvrir et qui devait le tuer le 24 décembre 2008, et la bataille publique contre « la manipulation de la vérité » entamée cette même année par George Bush et Tony Blair en vue de mener leur guerre, décidée d’avance, contre l’Irak.
Dans les dernières années de la vie de l’auteur britannique, ces deux batailles étaient intimement liées dans la mesure où l’une était menée contre le cancer de la gorge qui mettait en danger l’intégrité physique de l’homme, et l’autre contre le cancer de la manipulation et de la tromperie qui s’attaquait sans vergogne aux principes qui nourrissaient l’âme assoiffée de justice et de vérité du citoyen Pinter.
En 2005, l’attribution du Prix Nobel de littérature à Harold Pinter était une petite consolation pour un homme qui vivait un double cauchemar : « le cauchemar personnel » de la chimiothérapie, comme il le qualifiait lui-même, et le cauchemar public qu’il partageait avec des millions d’autres, celui du désastre d’Abou Ghraib et de la destruction de l’Irak sur la base d’un mensonge.
Cette petite consolation, Harold Pinter l’a transformée en grande occasion pour pourfendre encore une fois les va-t-en guerre et dénoncer les vraies motivations qui se cachaient derrière la décision de détruire l’Irak.
A notre connaissance, aucun lauréat n’avait exploité l’occasion de réception du Prix Nobel à Stockholm ou à Oslo pour dénoncer l’injustice de manière aussi spectaculaire et aussi virulente que ne l’avait fait Harold Pinter en 2005. Bien que fortement diminué par la vieillesse et la maladie, et incapable de faire le voyage jusqu’à Stockholm, Harold Pinter avait tenu à enregistrer son discours de réception sur vidéo. Un discours mémorable qui s’apparentait à un cri de révolte contre la plus grande injustice du XXIeme siècle, la guerre d’Irak, et les mensonges et les manipulations qui l’avaient précédée.
Le 15 février 2003, quatre semaines avant l’invasion de l’Irak, plus d’un million de personnes avaient défilé à Londres pour exprimer leur opposition à la guerre. Harold Pinter était aussi dans la rue ce jour là. Son cancer de la gorge ne l’avait pas empêché de crier sa colère devant la foule. Il ne l’avait pas empêché de mettre en garde Bush et Blair contre les conséquences du désastre qu’ils se préparaient à déclencher.
Avec du recul, Bush et Blair devraient se mordre les doigts de n’avoir pas entendu les mises en garde de Harold Pinter le 15 février 2003. S’ils l’avaient fait, ils vivraient aujourd’hui avec une conscience beaucoup moins chargée dans un monde nettement moins dangereux.

1 Comments:

Blogger Unknown said...

La main mise des lobbies est telle qu' un penseur ,philosophe et homme d'action aussi prestigieux et aussi digne du titre qui lui a été décerné a été occulté meme dans sa disparition.

5:55 PM  

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