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Wednesday, February 27, 2008

Guerre stratégique au nord de l'Irak

L’armée turque affronte depuis une semaine les combattants du PKK au nord de l’Irak dans des conditions de relief et de climat extrêmes. La région est montagneuse et très difficile d’accès. Le froid et la neige rendent cet accès plus difficile encore. Pour souligner l’urgence de son intervention et sa détermination sans faille, Ankara n’a pas attendu le printemps pour épargner à son armée au moins les difficultés nées du dur climat du Kurdistan.
Cela fait près de deux décennies maintenant que la Turquie est confrontée au mouvement séparatiste kurde, le PKK, considéré comme terroriste par la majorité des Turcs. A un certain moment, en février 1999 exactement, Ankara avait nourri l’espoir que le PKK allait s’éteindre après l’arrestation de son chef, Abdallah Oçalan, en Afrique à la suite d’une opération compliquée menée par les services de renseignements turcs. Neuf ans après l’arrestation du fondateur du parti séparatiste kurde, le PKK garde intacte sa capacité de nuisance vis-à-vis de la Turquie.
Composé de quelques milliers de combattants, très jeunes et inexpérimentés pour la plupart, le PKK doit sa survie non pas à sa force ou à son armement, rudimentaire du reste, mais au relief très montagneux du Kurdistan irakien où il a choisi de se replier dès le début des années 1990. Bénéficiant sinon de l’aide du moins de la complaisance des autorités autonomes du Kurdistan irakien, bénéficiant aussi et surtout de la solidarité ethnique des Kurdes irakiens, le PKK continue de prendre refuge dans les montagnes surplombant les villes de Suleimaniyeh et de Dohuk.
En fait, le PKK n’a jamais posé de menace sérieuse pour l’intégrité territoriale de la Turquie ni pour sa sécurité. Il est vrai que le parti séparatiste fait exploser de temps à autre une bombe en Anatolie et même à Istanbul ou à Ankara, mais c’est là une simple nuisance que le PKK a toujours été incapable de transformer en menace sérieuse pour la sécurité nationale turque. Le problème fondamental du PKK reste sa marginalisation et son incapacité à mobiliser les 12 millions de Kurdes turcs à ses côtés. Bien au contraire, ceux-ci sont du côté de l’armée turque et prennent une large part, en tant que soldats, dans la répression du mouvement séparatiste.
Beaucoup d’analystes et commentateurs se demandent si vraiment cette fois l’intervention turque au nord de l’Irak vise le PKK ou celui-ci n’est qu’un prétexte mis en avant par Ankara pour servir des intérêts stratégiques autrement plus importants : empêcher, au besoin par la force, l’émergence d’un Etat kurde indépendant au Kurdistan irakien.
Ce n’est un secret pour personne que la Turquie voit d’un très mauvais œil l’autonomie, jugée « excessive » à Ankara, dont jouissent les Kurdes irakiens depuis 1991. En effet cela fait 17 ans maintenant que les Kurdes irakiens gèrent leurs propres affaires à la manière d’un Etat indépendant. La « province autonome du Kurdistan irakien » dispose de son propre drapeau, de sa propre armée (les Peshmergas), de son propre parlement, de son propre président, de son propre Premier ministre, de son propre gouvernement nommé par le président Massoud Barzani, de son propre système éducatif basé fondamentalement sur la langue kurde etc…
Certes, le vice président et le ministre des Affaires étrangères d’Irak, respectivement Jalal Talabani et Hoshyar Zebari, sont kurdes. Mais cela n’a contribué en rien à rendre un peu moins hermétique et un peu plus poreuse la frontière entre le Kurdistan irakien et le reste du pays. Il est remarquable, n’est ce pas, que bien que le vice président et le ministre des Affaires étrangères d’Irak soient kurdes, aucun soldat irakien et aucun policier relevant du gouvernement central de Bagdad n’a le droit de mettre les pieds au Kurdistan. Les Irakiens du centre et du sud ne peuvent toujours pas se rendre au Kurdistan comme s’ils se rendaient dans n’importe quelle autre province irakienne…
La persistance de cette autonomie jalousement défendue par les Kurdes et l’intention clairement affichée par ceux-ci d’annexer, au besoin par la force, la riche région pétrolière de Kirkouk sont sources de soucis bien plus sérieux pour Ankara que ceux posés par les quelques milliers d’ « adolescents dévoyés » du PKK. Les autorités kurdes sont cette fois beaucoup plus inquiètes de l’intervention turque que par le passé. Elles semblent conscientes de l’impatience et de l’agacement d’Ankara face au renforcement de l’autonomie du Kurdistan irakien et de la détermination de l’armée turque à s’opposer par la force à l’évolution de cette autonomie en indépendance pure et simple. Conscient, mais aussi inquiet, de cette dimension stratégique de l’intervention turque au nord de l’Irak, le président Massoud Barzani ne peut rien faire d’autre sinon prononcer des discours menaçants à l’intention d’Ankara ou mettre « en état d’alerte » les Peshmergas exhortées à se préparer à « une résistance massive ».
Le gouvernement central de Bagdad se trouve dans une position aussi impuissante que celle du gouvernement autonome du Kurdistan. Il se contente lui aussi de faire des discours et de multiplier les appels à Ankara de retirer ses troupes et de respecter « la souveraineté de l’Irak ».
Et les Etats-Unis dans tout ça ? A supposer qu’ils aient les moyens militaires d’empêcher Ankara de pénétrer au nord de l’Irak, ils ne le feront pas parce qu’ils sont très liés à la Turquie par des intérêts particulièrement solides. Les Etats-Unis ont des bases militaires stratégiques en Turquie qu’ils ne sont pas prêts à sacrifier pour les beaux yeux des Kurdes. Membre de l’Otan, la Turquie est un pays très précieux pour Washington, surtout en ce moment où l’armée américaine est en grande difficulté en Afghanistan et en Irak. Sans oublier l’intérêt évident des Etats-Unis de maintenir le maximum de distance possible entre Ankara et Téhéran. De là à dire que la Turquie a carte blanche dans le Kurdistan irakien, il y a un pas que beaucoup d’analystes et de commentateurs ont franchi déjà.

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