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Saturday, February 09, 2008

Le Darfour au Tchad

Des commentateurs et des chercheurs en sciences politiques n’hésitent pas à qualifier le conflit du Darfour comme le premier conflit qui a « à la fois des causes politiques et écologiques ». En d’autres termes, l’une des causes de ce conflit qui a fait déjà 200.000 morts et un nombre incalculable de réfugiés réside dans le changement climatique qui se fait sentir chaque année un peu plus. Le climat est de plus en plus caractérisé par des excès de sècheresse ou d’inondations et, dans les deux cas, des terres qui étaient arables et produisaient de la nourriture pour les hommes et les animaux, sont condamnées et abandonnées par les tribus qui les possédaient. C’est semble-t-il ce nouveau phénomène climatique qui a poussé les tribus soudanaises des Janjaweed à foncer sur le Darfour à la recherche de plaines cultivables et de prairies.
Les Darfouriens ne se sont pas laissés déposséder facilement de leurs terres et ont décidé de se défendre en se rebellant contre les Janjaweed, guerriers arabes soutenus par le pouvoir central de Khartoum. D’où ce conflit qui dure depuis des années et qui s’est transformé en l’une des crises humanitaires les plus dramatiques. Le plus grave est que ce conflit commence à déborder les frontières du Soudan. La guerre qui a fait rage au Tchad au début de ce mois a pour cause principale le conflit du Darfour.
L’Afrique est habituée aux guerres fratricides qui, depuis la vague des indépendances dans les années 1960, n’ont cessé de la déchirer. Les conflits les plus récents, ceux du Rwanda, du Sierra Leone, du Liberia, du Congo, sans parler du plus récent d’entre eux au Kenya, ont provoqué la mort de millions d’Africains et le déplacement de dizaines de millions d’autres dont beaucoup vivent encore dans des camps de réfugiés insalubres survivant grâce à l’aide internationale. Sur le plan économique, les conséquences de ces guerres fratricides sont dévastatrices. Rares sont les programmes de développement qui ont été menés à leur terme. La raison est simple. Les pauvres moyens financiers dont disposent les pays africains sont systématiquement siphonnés par les programmes d’achat d’armement aux dépens des programmes sociaux et économiques les plus urgents.
Le Soudan et le Tchad sont parmi les pays les plus pauvres d’Afrique. Au début de ce siècle, la découverte de quelques puits de pétrole dans ces deux pays a fait naître quelques espoirs chez les Soudanais et les Tchadiens d’une amélioration des conditions de vie. Seulement, le conflit du Darfour en a décidé autrement.
La région du Darfour est un immense territoire qui s’étend sur près d’un demi million de kilomètres carrés. Situé à l’ouest du Soudan, le Darfour s’étend le long d’une bonne partie de la frontière soudano-tchadienne. Pour des raisons qui lui sont propres et qui consistent essentiellement à mater la rébellion du Darfour, le gouvernement de Khartoum a décidé de soutenir par tous les moyens les guerriers Janjaweed. Pour des raisons qui lui sont propres aussi et qui consistent essentiellement à raviver la rébellion du Darfour, le gouvernement de N’Djamena a décidé de soutenir par tous les moyens les rebelles qui combattent les Janjaweed. D’où l’inimitié qui empoisonne les relations des deux pays voisins ; d’où le désir du gouvernement soudanais du président Al Bashir de renverser le gouvernement tchadien du président Déby et de le remplacer par un autre, moins hostile et plus réceptif aux thèses de Khartoum sur les raisons du conflit du Darfour et les moyens de le résoudre.
Le déclenchement de la guerre au Tchad au début de ce mois n’est pas dû au hasard. Il est intervenu à la veille de l’envoi par l’Union Européenne au Tchad et en République centrafricaine de l’Eufor, composée de 3700 soldats sous le commandement d’un général irlandais. C’est pour empêcher l’arrivée d’une telle force dans la région que, sous l’instigation du Soudan, les rebelles tchadiens ont franchi la frontière et tenté de renverser le gouvernement du président Idris Déby. Ils n’ont pas réussi à le faire, mais ils ont semé la mort et la désolation dans une bonne partie de la capitale tchadienne avant de prendre la fuite vers le Soudan.
Le conflit du Darfour était donc au cœur de la récente guerre fratricide qui a endeuillé les Tchadiens et envoyé des dizaines de milliers d’entre eux sur les routes de l’exil. Le Darfour était donc au Tchad non seulement parce que les rebelles tchadiens étaient venus du Soudan, mais aussi, ce que beaucoup ignorent, parce que les rebelles du Darfour ont joué un rôle clé dans la survie du gouvernement du président Déby en intervenant aussitôt à côté de ses troupes pour défaire les rebelles tchadiens et préserver ainsi un régime ami à N’Djamena qui leur offre soutien et profondeur stratégique dans leur conflit avec les Janjaweed et le gouvernement soudanais.
La survie du gouvernement tchadien est donc une victoire pour les rebelles du Darfour et un échec pour le gouvernement soudanais. Celui-ci a pourtant réussi pendant des années à bloquer par les moyens diplomatiques l’arrivée des troupes internationales dans la région, grâce entre autres au soutien de la Chine au Soudan dans les forums internationaux. L’aventure des rebelles tchadiens, ou plutôt leur mésaventure, n’aura donc permis que d’ « ajourner » l’envoi de l’Eufor et non de l’annuler comme le souhaitaient vivement les autorités soudanaises.
En attendant, le conflit du Darfour, qui a déjà débordé au Tchad, continuera à faire des ravages et à détourner les maigres recettes pétrolières de Khartoum et de N’Djamena des programmes économiques et sociaux , dont les populations des deux pays ont un urgent besoin, vers l’achat d’armements qui ne servira en dernière analyse qu’à perpétuer les guerres fratricides, intensifier le calvaire des Africains et ajourner indéfiniment le décollage de l’Afrique.

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