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Monday, February 25, 2008

La leçon des élections pakistanaises

Programmées au départ pour le 8 janvier 2008, les élections législatives au Pakistan ont failli ne pas avoir lieu à la suite de l’assassinat de Benazir Bhutto le 27 décembre dernier. La date du 18 février 2008 restera une date importante pour le Pakistan dans la mesure où ce pays a enregistré ce jour là une double victoire.
Tout d’abord, le pays qui était au bord du chaos total au lendemain de l’assassinat de la présidente du Parti du Peuple Pakistanais (PPP), a pu malgré tout tenir le 18 février dernier les élections législatives que beaucoup croyaient compromises. Mieux encore, agréable surprise, ces élections se sont déroulées dans un climat marqué par un niveau de violence étonnamment bas, compte tenu de la situation explosive dans laquelle se trouvait le pays.
Ensuite, agréable surprise aussi, le peuple pakistanais a renvoyé chez eux les candidats des partis religieux extrémistes qui se préparaient à étendre la « talibanisation » du Waziristan au reste du pays. Les citoyens pakistanais ont choisi la majorité de leurs représentants au sein des deux principaux partis démocratiques du pays, le PPP de feue Benazir Bhutto et la Ligue musulmane de l’ancien Premier ministre Nawaz Sharif. A eux deux, ces partis ont eu droit à 155 députés sur les 268 que compte le Parlement pakistanais.
En votant contre les partis extrémistes, qui font de la pauvreté et de la misère leurs fonds de commerce, le peuple pakistanais a signifié au monde entier qu’il est assez mûr pour ne pas se laisser entraîner dans les dédales de l’obscurantisme. Qu’il est assez sage pour refuser son soutien à des groupuscules qui entretiennent le nihilisme et la culture de la mort, et dont la seule politique consiste à interdire aux femmes de mettre le nez dehors, à envoyer des illuminés saccager les boutiques de CD et de DVD et à ceinturer de TNT des écervelés avant de les envoyer se faire exploser dans les lieux publics.
Le peuple pakistanais a tiré la leçon de l’amère expérience de la précédente législature quand les habitants de la région de Peshawar, dans le nord ouest, avaient élu des extrémistes religieux et leur avaient donné la responsabilité de gérer leurs affaires locales. Il va sans dire que les résultats ont été désastreux. Ni développement, ni création d’entreprises, ni création d’emplois. Tout ce que ces élus fanatiques ont fait c’est de multiplier les interdits religieux découlant de leur compréhension aussi limitée qu’erronée de l’islam, de jeter l’anathème sur le travail et l’éducation des femmes, sur la musique, le cinéma, les fêtes de mariage et les fêtes tout court. En un mot, ils n’ont fait que transformer la vie des habitants des provinces du nord ouest en une routine aussi lugubre que dangereuse.
Ecoutons l’explication du professeur Shah Jehan, de l’université de Peshawar, recueillie par le quotidien britannique « The Guardian », dans son édition du 24 février : « Le vote contre les partis religieux s’explique par leur échec à tenir les promesses de leurs campagnes électorales. Ils ont promis d’être honnêtes, justes, ascétiques et efficaces, et ils n’étaient rien de tout ça. Plus encore, ils n’ont pas pu apporter la paix. Les gens sont malades de la violence et de l’insécurité. Ils ont voté pour des partis qui, espèrent-ils, vont mettre un terme à leur calvaire. »
Mettre un terme au calvaire des gens est une tâche immense qui attend les nouveaux élus, surtout que pas très loin de la province de Peshawar, se trouvent les zones tribales autonomes où se cacheraient Ben laden et ses lieutenants et où pullulent les camps d’entraînement des talibans afghans et pakistanais. C’est probablement de ces camps qu’est venu le kamikaze qui s’est fait exploser pendant la campagne électorale dans la permanence de l’un des candidats à Peshawar, provoquant la mort de 80 personnes, alimentant ainsi, à deux jours des élections, le sentiment de dégoût face à cette culture de la mort initiée par ceux qui prétendent servir les desseins divins en massacrant des innocents.
Si l’on en croit le reportage du « Guardian », la gaieté est de retour à Peshawar. La musique n’est plus interdite, on chante et on danse de nouveau dans les mariages et, pour fêter leur victoire, des députés fraîchement élus ont programmé des concerts publics. Mais les plus contents d’entre tous sont les chauffeurs de bus. Ils peuvent désormais écouter de nouveau leur musique préférée dans le bus qu’ils conduisent plusieurs heures par jour…
Les élections du 18 février sont donc un grand coup pour les obscurantistes et autres talibans pakistanais. Mais ce n’est pas un coup fatal puisqu’ils ne vont pas désarmer aussi facilement et tenteront à coup sûr de poursuivre leurs menées subversives et violentes. Pour leur couper définitivement l’herbe sous les pieds, les autorités pakistanaises n’ont d’autre choix que de s’investir pleinement dans la lutte contre la pauvreté et dans la promotion de l’enseignement laïque.
La réussite du Pakistan dépend des Pakistanais eux-mêmes en premier lieu certes. Mais elle dépend aussi de la manière dont est perçu le pays à l’étranger. La meilleure manière d’aider le Pakistan, ne consiste sûrement pas à continuer à le considérer seulement comme un pays de la ligne de front dans le « guerre contre le terrorisme », comme il l’était hier dans la guerre contre l’empire soviétique. Le Pakistan n’est pas seulement « une pièce maîtresse » dans le jeu stratégique des Etats-Unis. C’est aussi 120 millions d’âmes à nourrir et à éduquer. C’est un pays à aider de toute urgence à sortir de son sous développement endémique. Et aucun développement n’est possible si les milliards de dollars, réservés jusqu’ici annuellement à l’achat d’armements, ne seront pas détournés au profit des programmes économiques, sociaux et éducatifs. Un Pakistan développé et débarrassé de ses obscurantistes est une condition incontournable pour la sécurité de la région, et même du monde.

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