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Wednesday, February 25, 2009

Lire la page avant de la tourner

Cela ressemble à s’y méprendre à un discours sur l’état de l’Union. La réunion des deux chambres du Congrès, l’enthousiasme avec lequel le président Obama était reçu par le pouvoir législatif, la « standing ovation » à laquelle il a eu droit, l’ambiance solennelle et le ton grave, tout était mis en place pour faire du premier discours du nouveau président devant les élus de la nation américaine un véritable discours sur l’état de l’Union et les moyens de la sortir de la grave situation dans laquelle elle se trouve.
Le diagnostic, contrairement à ce qu’on était habitués d’entendre durant les huit dernières années, répondait aux impératifs de la vérité. Et la vérité, comme l’a dit mardi Obama, est que la crise profonde dans laquelle est plongée l’Amérique et qui s’est étendue rapidement au reste du monde, n’a pas commencé avec le scandale des subprimes, l’effondrement du marché de l’immobilier ou la chute du Dow Jones.
La crise est intimement liée au mode de vie des Américains et aux choix erronés en politique intérieure et étrangère, particulièrement durant les huit dernières années. Les causes profondes de la crise se trouvent dans l’addiction au pétrole, consommé de manière gargantuesque, désastreuse à la fois pour le budget familial et fédéral ainsi que pour l’environnement. Elles se trouvent, comme l’a si bien dit Obama, dans le fait que « les profits à court terme prenaient le pas sur la prospérité du long terme », dans l’ajournement continu au lendemain des décisions difficiles, dans la cupidité des banquiers et des spéculateurs dont les gains faramineux et injustifiés ne faisaient qu’aiguiser leur désir de gagner encore plus.
L’une des causes importantes de cette crise, passée entièrement sous silence par Obama dans son discours de mardi est l’implication depuis 2001 des Etats-Unis dans des guerres extrêmement coûteuses et que l’administration de George W. Bush a choisi de mener sur le compte des générations futures américaines. En effet, celles-ci, avant même qu’elles ne soient nées, se trouvent endettées jusqu’au cou auprès des générations futures chinoise, japonaise, sud coréenne, saoudienne etc.
Cette singularité économique, les Etats-Unis la doivent à George Bush qui a inventé la manière la plus déroutante de l’histoire de l’humanité en matière de financement des guerres. En effet, plus il dépensait sur ses guerres d’Afghanistan et d’Irak, plus il réduisait les impôts que devaient payer les riches, et plus il imprimait des bons de Trésor qu’il vendait frénétiquement aux détenteurs de grosses quantités de devise américaine. La moralité de l’histoire, ou plutôt l’immoralité de l’histoire, est que George Bush était certes un ennemi implacable des Irakiens et des Afghans, mais il était aussi une malédiction pour les générations futures américaines. Pour avoir une idée de ce qui attend celles-ci, il faut savoir que, jusqu’à ce jour, rien que dans les coffres des banques centrales chinoise et japonaise se trouve entreposée une masse faramineuse de bons de Trésor d’une valeur de plus 1200 milliards de dollars…
« Et bien, l’heure de vérité est arrivée et avec elle le moment de prendre en charge notre avenir » a dit Obama dans son discours de mardi, avant d’exhorter les Américains « à se rassembler pour affronter crânement les défis qui nous font face et assumer une fois de plus la responsabilité notre avenir. »
Si on lit entre les lignes, on comprendra qu’Obama voulait dire (sans trop vouloir le dire) que l’administration qui l’a précédé n’a pas pris en charge l’avenir du pays qu’elle a, au contraire, gravement compromis. Mais on constatera aussi, qu’il est animé du désir de tourner très vite la page et d’oublier le plus rapidement possible les désastres engendrés par les choix politiques de son prédécesseur.
Les questions qui se posent sont les suivantes : est-il sain pour l’Amérique d’ignorer les graves conséquences de la politique de George Bush ? Est-il juste de passer par pertes et profits les immenses souffrances endurées par des millions de personnes aux Etats-Unis et à l’étranger sans déterminer la responsabilité des uns et des autres ?
Beaucoup aux Etats-Unis répondent par « non » à ces deux questions. Parmi eux le sénateur démocrate de l’Etat du Vermont, Patrick Leahy, qui estime que les Etats-Unis ont besoin d’ « une Commission de vérité » qui se penchera sur les méfaits commis par l’administration Bush dans sa guerre contre le terrorisme. « Beaucoup d’Américains », affirme Leahy, « éprouvent le besoin d’aller au fond des choses pour comprendre les erreurs commises. On ne devrait pas tourner la page avant de l’avoir lue ».
Mais beaucoup aussi à Washington rejettent cette idée. Le sénateur républicain de Pennsylvanie, Arlen Specter, estime que « si chaque administration se met à réexaminer ce qu’a fait la précédente, on ne s’en sortira pas. Ici, on n’est pas en Amérique latine. »
Il a dû regretter sa comparaison puisque d’éminents juristes, dont James Cavallaro, professeur de droit à Harvard, lui ont répondu « justement, on n’est pas en Amérique latine, mais il y a des leçons à apprendre de l’expérience de nos voisins du sud. » (1)
C’est un fait que le Chili et l’Argentine, pour ne citer que ces deux pays, se sentent beaucoup mieux sur les plans moral, social et politique grâce aux « Commissions de vérité » qu’ils ont mises en place au lendemain de la chute des dictatures militaires de Pinochet et de Videla. Les Etats-Unis se sentiront beaucoup mieux aussi sans aucun doute sur tous les plans, y compris économique, s’ils mettaient en place une Commission de vérité sur les huit années de gouvernement de George Bush. Celui-ci n’est pas arrivé à la Maison blanche à travers un coup d’état, certes, mais ce qu’il a fait subir aux Etats-Unis et au monde n’est pas moins grave que ce qu’ont fait subir les dictatures militaires chilienne et argentine à leur pays.

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(1) Christian Science Monitor, 20 février 2009

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