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Monday, February 23, 2009

Le juge et l'assassin

Imaginons une salle d’audience d’un tribunal où il y a deux personnes seulement, le juge et l’assassin. Imaginons que le juge écoute attentivement l’assassin développer un à un les éléments prouvant son « innocence ». Imaginons que le juge est convaincu et, ne trouvant nul besoin de confronter la version forcément mensongère de l’assassin à celle des témoins oculaires, rend un jugement acquittant le coupable.
Cette justice surréaliste et absurde n’existe même pas dans les dictatures les plus ubuesques. Pourtant, c’est ce modèle de justice surréaliste qu’a suivi Anthony Cordesman, un chercheur et stratège américain qui occupe un poste important dans une grande institution de recherche américaine : le Centre pour les études stratégiques internationales. Il a publié le 2 février dernier une étude intitulée : « The Gaza war, a strategic study » (La guerre de Gaza, une étude stratégique).
Cordesman est un chercheur respecté. Ses analyses sur la politique américaine au Moyen Orient, en Irak ou en Asie de l’ouest sont en général profondes et pertinentes, forçant souvent le respect même si on ne les partage pas.
Son dernier « rapport » sur la guerre de Gaza a étonné et déçu plus d’un observateur par son parti pris flagrant en faveur de l’agresseur israélien que Cordesman blanchit en concluant son « étude » en ces termes : « Israël n’a pas violé les lois de la guerre ».
Cette intime conviction, le juge Cordesman l’a eue grâce à un « voyage d’étude » en Israël financé par le Comité juif américain (information importante que Cordesman passe sous silence) et au cours duquel, il a « consulté des documents officiels de l’armée israélienne » et « interrogé plusieurs soldats et officiers » ayant participé à la guerre contre le peuple palestinien à Gaza.
L’étonnant est que le chercheur américain a pris pour argent comptant ce qu’il a lu et entendu en Israël alors que des journalistes et des chercheurs israéliens ne croient plus un mot de ce que disent les responsables politiques et militaires de leur pays. Par exemple, Uzi Benziman a écrit dans le journal « Haaretz » que « les autorités de l’Etat, y compris l’institution de la défense avec toutes ses branches, ont acquis une réputation de malhonnêteté qui a endommagé leur crédibilité. » De son côté, B. Michael a écrit dans le journal Yediot Ahronot : « Les communiqués officiels publiés par l’armée israélienne se sont progressivement libérés de la contrainte de la vérité, et le cœur de la structure du pouvoir (police, armée et renseignement) est infecté par la culture du mensonge. » Enfin, dernier exemple, l’un des responsables de Human Rights Watch, Marc Garlasco, était si ulcéré par les mensonges proférés par l’armée israélienne pendant les deux dernières guerres du Liban et de Gaza, qu’il s’est exclamé : « Qui pourra encore croire l’armée israélienne ? »
Réponse : Anthony Cordesman. Mieux encore (ou pire), ce chercheur nous invite à croire aussi l’armée israélienne puisque ses données sont « de loin plus crédibles » que les données de l’ONU par exemple que « beaucoup d’Israéliens estiment biaisées parce qu’en faveur des Palestiniens. »
La vraie question qui se pose maintenant est qu’un homme aussi intelligent et aussi bien informé qu’Anthony Cordesman peut-il en toute bonne foi croire les données officielles israéliennes et les utiliser exclusivement comme base d’une étude stratégique sérieuse ?
Pour prononcer un jugement juste, crédible et honnête, un juge ne peut se contenter des seules affirmations de l’assassin. Certes, il est tenu de lui donner la parole et lui assurer la possibilité de se défendre. Mais si le récit de l’assassin est en contradiction avec l’évidence, le juge est tenu de l’ignorer et de rendre son jugement conformément à la vérité basée sur des preuves matérielles indiscutables.
Quand Anthony Cordesman, utilisant son autorité morale et intellectuelle et la réputation de l’Institut qui l’emploie, conclut auprès du public occidental qu’ « Israël n’a pas violé les lois de la guerre », et donc n’a commis aucun crime de guerre, il joue le rôle d’un juge corrompu qui s’assoit sur la vérité et prend le parti du coupable pour des raisons inavouables.
Si Cordesman tenait à la vérité et à la crédibilité de son « étude stratégique », il serait allé non pas à Tel Aviv, mais à Gaza. Il n’aurait pas pris la grotesque décision d’interviewer les agresseurs et d’ignorer les victimes. D’ailleurs aurait-il eu besoin de se déplacer ? Des centaines de millions de téléspectateurs à travers le monde ont pu observer trois semaines durant la sauvagerie avec laquelle les habitations, les hôpitaux, les écoles, les mosquées, les usines et les bâtiments administratifs ont été nivelés et les centaines de Palestiniens, dont une majorité de femmes et d’enfants, ensevelis. En dépit de ces preuves matérielles irréfutables observées quotidiennement et en direct par des centaines de millions de téléspectateurs, Cordesman trouve le moyen d’innocenter Israël en décrétant que ce pays « n’a pas violé les règles de la guerre » !
Cordesman n’est pas ce naïf qui se laisse facilement berner par les services de propagande de l’Etat israélien. Son comportement ne peut s’expliquer que par la peur du lobby. Contacté par le Comité juif américain qui lui a proposé de financer le voyage en Israël et l’« étude », Cordesman ne pouvait refuser sous peine de se voir traiter d’ « anti-sémite » avec les risques de mise en quarantaine et de destruction de carrière qui s’ensuivent.
Le lobby est toujours aussi actif et aussi prêt à terroriser quiconque, en Europe ou aux Etats-Unis, ose critiquer Israël. Dans son dernier sondage sur l’idée qu’ont les Européens des Juifs (1), l’ « Anti-Defamation League » a posé un certain nombre de questions dont celle-ci : « Les Juifs sont-ils plus loyaux à Israël qu’aux pays dont ils ont la nationalité ? » Une majorité d’Européens ont répondu « Oui, c’est probablement vrai ». C’était suffisant pour qu’Abraham Foxman, le chef du redoutable lobby, se déchaîne contre ces « Européens anti-sémites ». Jusqu’à quand des hommes de la valeur et de la réputation d’Anthony Cordesman vont-ils continuer à se mettre avec zèle et empressement au service du lobby et d’Israël rien que pour éviter d’être accusés d’ « anti-sémitisme » ?

(1) www.adl.org/Public%20ADL%20Anti-Semitism%20Presentation%20February%202009%20 3 .pdf

1 Comments:

Anonymous Anonymous said...

Proposition: Afin de toucher un large public, il serait judicieux de faire une version anglaise de ce papier et pouquoi ne pas le publier dans une revue américaine et envoyer une copie à l'intéressé.

10:57 AM  

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