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Monday, February 02, 2009

Il était une fois la révolution

Il y a trente ans, le 1er février 1979 plus exactement, l‘ayatollah Khomeiny atterrit à Téhéran après un long exil. Il rentra chez lui en héros adulé et fut accueilli par une foule en délire qui se comptait en millions. Cette même foule qui, durant des années, s’était passée clandestinement les cassettes incendiaires de Khomeiny, et qui avait fini par vaincre l’une des dictatures les plus sanglantes, celle du Chah d’Iran. Celui-ci, abandonné par tous ceux qu’il avait servis pendant les longues années de son règne, y compris et surtout les Etats-Unis, n’avait trouvé que le président égyptien, Anouar Essadate, pour le recevoir au Caire. Il ne devait survivre à l’écroulement de son régime que quelques mois.
Trente après son édification, le régime établi par les mollahs iraniens est toujours solide et jouit encore d’une assise populaire assez large. Le régime du Chah, qui n’a duré que 26 ans (1953-1979), n’a jamais su bâtir une base populaire. Il a choisi la voie de la répression comme unique moyen de gouvernement, et ça lui a été fatal. Cela ne veut pas dire que le régime des mollahs n’a pas recouru à la répression. Il y a recouru pour éliminer des adversaires politiques, mais ne l’a pas érigé en système de gouvernement comme ce fut le cas au temps du Chah.
L’autre raison qui explique la popularité persistante du régime des mollahs est que le pétrole et le gaz, principales richesses du pays, n’étaient plus contrôlés par les grandes sociétés américaines et britanniques, comme au temps du Chah, mais par l’Etat iranien. Cette décision capitale, prise dès les premières heures de la révolution a non seulement rendu aux Iraniens leur fierté perdue, mais elle a aussi amélioré les conditions de vie des couches sociales démunies, celles-là même qui ont été ignorées économiquement et réprimées politiquement par le régime des Pahlavi.
En fait les mollahs n’ont pas été les premiers à prendre cette décision stratégique. Vingt six ans avant eux, en 1953, le docteur Mohammed Mosaddeq, Premier ministre élu démocratiquement par les Iraniens, avait nationalisé le pétrole et remercié les grandes sociétés pétrolières anglo-américaines. Il fut renversé par un coup d’état fomenté par la CIA. Le Chah prit aussitôt les rênes du pouvoir et son premier décret fut d’annuler la décision de Mosaddeq.
En renversant un régime démocratiquement élu pour la simple raison qu’il a pris en compte les intérêts du peuple iranien plutôt que ceux de compagnies étrangères, en aidant le Chah à s’emparer du pouvoir et en faisant de lui le « gendarme » du Golfe, les Etats-Unis ont commis une erreur stratégique monumentale dont ils continuent jusqu’à ce jour à payer le prix.
En renversant Mosaddeq, un homme intègre, modéré et nullement anti-occidental, les Américains ont certes rétabli momentanément les intérêts de leurs grandes compagnies pétrolières, mais, en même temps, ils ont balisé la voie à une radicalisation de la société iranienne qui devait aboutir, un quart de siècle plus tard, à la révolution islamique et à l’extirpation de toute présence économique et de toute influence politique américaines.
La révolution des mollahs est, à ce niveau, le premier changement politique d’envergure dans la région dont les causes fondamentales sont à rechercher dans le comportement irresponsable d’une puissance étrangère plutôt que dans les contradictions internes propres à la société iranienne. Car si le processus démocratique et les choix économiques engagés par Mosaddeq n’avaient pas été interrompus, le khomeinisme n’aurait pas trouvé les conditions sociales nécessaires à son développement et à sa victoire, et les intérêts américains en Iran n’auraient pas été minés de manière aussi radicale pendant un tiers de siècle. Car le compromis qui était possible avec le modéré Mosaddeq ne l’était plus avec les mollahs radicaux qui avaient inauguré leurs « nouvelles relations » avec Washington par une prise d’otages d’une cinquantaine de diplomates américains pendant 444 jours.
Il faut dire que le radicalisme des mollahs n’est pas resté constant pendant les trente ans d’existence de la révolution iranienne. Celle-ci s’était reconverti progressivement à la realpolitik en mettant assez tôt un terme à sa rhétorique d’exportation de la révolution et en normalisant ses relations avec le monde arabe et avec l’Europe.
Cette normalisation tarde toujours à englober les relations avec Washington, et pour être honnête, disons que les obstacles n’étaient pas toujours dressés par Téhéran. Le refus des présidents américains successifs de se pencher sérieusement sur le contentieux irano-américain est pour beaucoup dans le gel prolongé des relations entre les deux pays. Pire encore, le radicalisme de George W. Bush et sa futile trouvaille de l’ « axe du mal » dans lequel il incluait l’Iran, a radicalisé de nouveau la société iranienne en la poussant à élire le président Ahmadinejad dont la rhétorique rappelle les premiers jours de la révolution iranienne.
Israël, poussant comme d’habitude vers la politique du pire, a tout fait pour provoquer une confrontation armée que Téhéran et Washington ont heureusement réussi à éviter pendant trente ans. Bush fils a résisté aux injonctions israéliennes non pas parce qu’il est devenu raisonnable à la fin de son règne chaotique, mais parce qu’il n’avait plus les moyens politiques, militaires et financiers d’engager les Etats-Unis dans une nouvelle aventure désastreuse. Les avait-il eus, il n’aurait pas hésité un instant.
Si l’on en croit ses promesses électorales, le nouveau président américain semble prêt à adopter un comportement différent de celui de ses prédécesseurs vis-à-vis de la question iranienne en se disant prêt à négocier directement avec les Iraniens. Trente ans de rupture entre deux pays qui étaient les meilleurs amis du monde, c’est un peu trop. En politique, les meilleures amitiés ne sont pas éternelles et les pires inimitiés ne sont pas définitives. L’amitié entre Washington et le régime du Chah n’a pas duré plus d’un quart de siècle. L’inimitié entre Washington et le régime des mollahs ne devrait pas durer plus d’un tiers de siècle. Il y va des intérêts des deux pays et de la paix dans le monde.

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