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Friday, October 31, 2008

A propos d'un projet d'accord contestable

Il y a quelque chose de tragi-comique dans cette « course contre la montre » à laquelle se livre la Maison blanche pour tenter de faire signer par les Irakiens le SOFA (Status Of Forces Agreement- Accord sur le statut des forces d’occupation américaines en Irak).
L’insistance des Etats Unis pour que cet accord soit signé avant le 31 décembre prochain est si intense qu’un observateur extraterrestre penserait le plus honnêtement du monde que la présence des 140.000 soldats américains en Irak est parfaitement légale et que l’administration Bush est torturée moralement à l’idée de voir ses forces en Irak sombrer dans l’illégalité dans le cas où les Irakiens continuent à traîner les pieds en multipliant les demandes d’amendements.
La présence des forces américaines en Irak est et demeurera fondamentalement illégale, et ni le mandat de l’ONU voté en 2004, ni le SOFA, dans sa forme actuelle ou amendée, à supposer que les Irakiens le signent, ne fera oublier la manière dont ces forces ont fait irruption en Irak ni les conséquences politiques, économiques, sociales et humanitaires désastreuses dont sont victimes 25 millions d’Irakiens.
Est-il besoin de rappeler ici l’histoire des « armes de manipulation massive » utilisées par l’administration Bush pour détruire gratuitement l’Irak, endommager gravement les intérêts, la réputation et les réserves financières des Etats-Unis et accroître brusquement l’insécurité dans le monde ?
Etrangement, tout en insistant sur la signature du projet d’accord sur le statut des forces d’occupation dans les délais, l’administration Bush n’a même pas pu s’empêcher de se tirer dans les pattes et de s’abstenir de multiplier les obstacles face à l’adoption d’un texte qu’elle cherche impatiemment à faire adopter.
L’attaque perpétrée dimanche dernier par des hélicoptères américains en territoire syrien, une première depuis l’invasion de l’Irak au printemps 2003, ne peut en aucun cas aider le gouvernement de Nouri al-Maliki à convaincre le parlement irakien d’accepter le texte proposé par le Pentagone et le signer avant la fin de l’année. Outre le fait que cette attaque aiguise les rancoeurs anti-américaines dans la région, elle a amené tout naturellement les Irakiens à formuler légitimement un amendement supplémentaire : inscrire explicitement dans le projet d’accord une interdiction claire d’utiliser le territoire irakien pour lancer des attaques contre des pays voisins.
L’agression américaine contre la Syrie a toutes les raisons d’inquiéter les Irakiens. Car, non seulement elle complique leurs relations avec Damas, mais elle met à nu face au monde entier leur incapacité, près de six ans après l’invasion, à prendre les choses en main et à imposer à l’occupant des règles minimales de conduite.
Mais ce n’est pas le seul aspect qui les inquiète, tant s’en faut. L’insistance américaine pour assurer l’impunité à leurs soldats et à garder leur totale liberté d’arrêter qui ils veulent en Irak et à entreprendre toute action militaire qu’ils jugent nécessaire sans se sentir obligés d’en référer aux autorités irakiennes, reviendrait à demander le beurre et l’argent du beurre. L’occupation et la légitimation de l’occupation par les occupés.
Depuis 2004, l’occupation américaine de l’Irak est « légitimée » par un mandat de l’ONU adopté sous le chapitre VII de la Charte qui permet l’usage de la force. Ce mandat a depuis été renouvelé chaque année. En décembre dernier, Nouri al-Maliki a demandé à ce que la prolongation de ce mandat en 2008 soit la dernière ; c’est ce qui a amené Américains et Irakiens à s’engager depuis huit mois maintenant dans des négociations difficiles sur le statut des forces d’occupation.
Les difficultés rencontrées par les négociateurs trouvent leur origine dans des perceptions contradictoires du rôle des forces américaines en Irak. Les Américains estiment que leurs forces ont consenti des sacrifices énormes pour « libérer les Irakiens » et ne comprennent pas que ceux-ci soient « si ingrats » au point de refuser la signature d’un simple statut des forces qui les ont « libérés de la dictature ». Aussi absurde que soit cette perception, elle est prédominante à la Maison blanche et au Pentagone.
De leur côté, les négociateurs irakiens qui ont vu leur pays détruit par les forces d’occupation, ne comprennent pas que ces forces, après tout le mal qu’elles ont commis en Irak et après les calvaires innommables qu’elles ont fait subir à des millions d’Irakiens, persistent à exiger carte blanche et à exiger surtout que cette carte blanche soit signée par les occupés.
Le commandant des forces américaines en Irak, le général Ray Odierno, s’est livré à un chantage en règle rapporté par le Washington Post dans son édition du 29 octobre. Si d’ici le 1er janvier prochain les Irakiens n’auront pas signé le SOFA, menace-t-il, il confinera les forces qu’il commande dans leurs bases en Irak, arrêtera de partager les renseignements avec le gouvernement Maliki et mettra fin à l’entraînement des forces militaires irakiennes. Cela équivaut presque à la fin de l’occupation, sans toutefois le départ des soldats. Si l’administration Bush, par la voix de son représentant militaire en Irak, peut aller aussi loin, au lieu de faire chanter les Irakiens, ne vaudrait-il pas mieux les faire danser en décidant la fin de l’occupation avec départ des soldats ?

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