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Thursday, October 23, 2008

Inde: Décollage et entrave démographique

Le ton est donné dès qu’on descend à Indira Gandhi International Airport à New Delhi. Il y a une certaine gêne pour les voyageurs, car l’aéroport est en train de subir de grands travaux d’agrandissement et de modernisation digne de la grande puissance économique que l’Inde se prépare à devenir.
La même gêne est ressentie par les habitants de New Delhi, la capitale politique du pays, où l’on ne compte pas les grands chantiers en cours. Ici, on s’affaire sur les dernières retouches d’un pont géant, là les pelleteuses creusent les fondations d’un autre, plus loin une série de gratte-ciel attendent le démarrage des travaux de finition. Mais tout cela n’est rien face à la gêne qu’occasionne aux piétons, aux cyclistes et automobilistes les travaux d’extension du métro de New Delhi. La poussière dégagée par les chantiers du métro est si intense que plusieurs passants se couvrent le nez avec leurs mouchoirs.
Après avoir été longtemps la capitale populeuse d’un pays pauvre, New Delhi, en lançant un si grand nombre de chantiers, se prépare visiblement à devenir la capitale d’un géant économique que l’Inde est déterminée à devenir.
Mais la volonté de l’Inde de devenir un géant économique est visible surtout à une trentaine de kilomètres de Delhi. A Noida, plus précisément, que les Indiens appellent «Greater Noida» (la Grande Noida). Il y a quinze ans, Noida était une zone agricole habitée par des paysans pauvres. Aujourd’hui, en entrant dans cette nouvelle cité, on se croit en Amérique. D’ailleurs, son architecture est un peu inspirée des cités américaines.
Avec ses grandes routes, ses grands immeubles, ses jardins publics très bien entretenus, sa propreté impeccable, Noida attire les riches qui occupent de superbes résidences; mais elle attire aussi et surtout les grandes compagnies qui appartiennent au secteur des technologies de l’information, un secteur dans lequel les Indiens excellent puisque leurs services informatiques sont très recherchés. De grandes compagnies mondiales sous-traitent une partie de leurs activités informatiques à des sociétés établies à Noida. A titre d’exemple, nombre de compagnies aériennes américaines, cherchant à comprimer leurs coûts de fonctionnement, confient leur secteur «billetterie» à des sociétés informatiques indiennes.
Si la Chine n’avait pas accompli sa spectaculaire mutation économique, l’Inde aurait-elle eu la même détermination et la même volonté de sortir de son sous-développement ? Cette question nous l’avons posée à nombre de nos interlocuteurs indiens. Srikanta Rout est un cadre dans une compagnie de relations publiques, «Sanket Communications Private Limited», basée à New Delhi. Pour lui, «il est bien évident que le développement fulgurant de la Chine a profondément secoué l’Inde qui ne pouvait pas se permettre de se laisser trop distancer par son grand voisin chinois qui est en même temps son grand rival. Cet impératif stratégique est sans doute pour beaucoup dans l’accélération du processus de développement économique en Inde».
Srikanta Rout a raison. Son point de vue a trouvé une confirmation spectaculaire hier mercredi. En effet, une année presque jour pour jour après que la Chine eut envoyé une sonde sur la Lune, l’Inde a envoyé hier la sienne. La sonde, qui porte le nom typiquement indien de «Chandrayaan 1», a été construite par les ingénieurs de l’«Indian Space Research Organization» (l’Agence indienne de recherche spatiale).
Les Indiens sont visiblement fiers de cet exploit spatial qui fait de leur pays le cinquième au monde à envoyer une sonde sur la lune après les Etats-Unis, la Russie, le Japon et la Chine. Manoj Kumar, chauffeur à B.S. Travels, une agence de transport touristique, en parle avec une ferveur si intense qu’on le croirait l’un des concepteurs du projet : «C’est fait, dit-il, l’Inde est désormais une puissance spatiale. Nous nous sommes dotés des moyens technologiques qui nous permettent quand on veut de quitter la Terre et d’aller rôder autour de la Lune pour lui voler ses secrets. N’est-ce pas magnifique ?» Tout en parlant, Manoj Kumar n’arrête pas de sourire montrant des dents parfaitement alignées et d’une blancheur stricte desquelles, visiblement, il n’est pas moins fier.
La fierté de Manoj Kumar s’étend aussi au gouvernement indien. Il arrête son véhicule devant un complexe résidentiel entouré d’une immense barrière en plein centre de Delhi. «C’est ici que résident le Dr Manmohan Singh, notre Premier ministre et les membres de son gouvernement», dit-il, en montrant du doigt quelques dizaines de résidences cossues. «Chaque membre du gouvernement et sa famille sont protégés en permanence par quatre gardes armés. Chaque garde passe quatre heures à son poste avant d’être relevé, ce qui fait seize gardes par jour et par membre du gouvernement», poursuit notre guide en faisant mentalement son calcul.
Cependant, ni les immenses chantiers en cours, ni Noida, ni l’envoi de «Chandrayaan 1» sur la Lune n’arrivent à couvrir l’immense pauvreté qui sévit toujours en Inde. Ce pays restera très probablement pour longtemps encore le pays des contrastes où une minorité, qui se compte quand même en dizaines de millions, a émergé et continue de se frayer avec détermination son chemin dans la prospérité. Quant à la majorité composée des paysans du monde rural et des ouvriers urbains entassés dans les bidons-villes, elle ploie encore sous le poids d’une grande pauvreté.
Nadeem Ansari est un jeune Indien de 23 ans qui a terminé brillamment ses études en informatique et est entré dans la vie active chez «Sanket Communications Private Limited». Il en veut visiblement aux anciens dirigeants du pays pour «n’avoir rien fait en matière de limitation de la progression démographique. Beaucoup de pays, poursuit-il, ont mis en place avec succès des politiques réussies de planning familial. Ici, une combinaison du poids des traditions, de l’analphabétisme massif dans le monde rural et du laisser-aller des politiciens, voire leur incompétence, ont fait que l’on soit aujourd’hui plus d’un milliard. Si l’on était moitié moins, nos problèmes seraient aujourd’hui dix fois moins difficiles à résoudre».

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