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Wednesday, October 01, 2008

Une règle politique israélienne

Il semble que c’est une fatalité en Israël. Les politiciens ne se rendent à l’évidence qu’ils étaient engagés dans une impasse qu’à la fin de leur carrière politique ou de leur vie. C’est donc au crépuscule de leur vie politique ou de leur vie tout court qu’ils commencent à s’activer pour « construire la paix » et à faire des discours ostentatoires sur la nécessité pour les Israéliens à faire « des sacrifices douloureux » s’ils veulent vivre en bons termes avec leurs voisins.
Nous avons vu cela avec Yitzhak Rabin. Après avoir été pendant des décennies un faucon intraitable, après avoir réprimé impitoyablement la première intifadha, allant jusqu’à ordonner à ses soldats de briser les os des enfants palestiniens avec les pierres qu’ils leur lançaient, le général Rabin s’était soudain reconverti en promoteur de la paix. Il avait signé les accords d’Oslo avec Yasser Arafat le 12 septembre 1993 et s’apprêtait à imposer à ses concitoyens les concessions applaudies par la gauche israélienne et conspuées par l’extrême droite et les colons. C’était au crépuscule de sa vie, peu de temps avant qu’un fanatique juif l’abattait au milieu de la foule en plein centre de Tel Aviv.
Nous avons vu cela aussi avec Ariel Sharon. Celui-là a toujours porté en lui une haine inextinguible contre les Arabes. Depuis sa prime jeunesse et jusqu’à la fin de sa vie politico-miliatire, il a tué, directement ou indirectement, des milliers d’Arabes. En tant que ministre du logement dans les années 1980, il a contribué de manière décisive à l’élargissement des colonies en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, et donc à l’aggravation du contentieux israélo-arabe et l’accentuation des difficultés de le résoudre. Quelques mois avant l’attaque cérébrale qui devait lui être fatale, Sharon s’est subitement converti lui aussi en « homme de paix », forçant des centaines de familles de colons à évacuer Gaza.
Nous assistons à cela maintenant avec Ehud Olmert. Ce faucon de la droite israélienne était membre de la Knesset à la fin des années soixante dix et, en 1979, avait voté contre l’accord de paix égypto-israélien. Il était durant de longues années le maire de Jérusalem et, à ce titre, était le moteur de la colonisation de Jérusalem-est occupée en 1967 par l’armée israélienne. Il était aussi ministre dans divers gouvernements israéliens avant d’occuper le poste de Premier ministre laissé vacant par l’entrée subite de Sharon dans le coma. Politicien à la compétence douteuse, Olmert avait largement contribué à pousser son pays dans l’impasse par son soutien indéfectible aux colons et par son hostilité aux défenseurs israéliens de la paix avec les Palestiniens. Sa dernière « grande décision » fut la guerre contre le Liban déclenchée en juillet 2006 et qui s’avèrera désastreuse pour lui personnellement et pour son pays.
Epinglé dans plusieurs cas de corruption aggravée, Olmert n’avait d’autre choix que de démissionner. Quelques jours après avoir annoncé sa démission, c'est-à-dire à la fin de sa vie politique, il se découvre soudain une colombe et appelle ses compatriotes à rendre les territoires qu’ils occupent depuis plus de quarante ans à leurs propriétaires, « y compris Jérusalem-est et le Golan », insiste-t-il.
Depuis quatre décennies, pratiquement le monde entier n’a pas cessé d’appeler Israël à rendre les territoires à leurs propriétaires, et Olmert était l’un des politiciens israéliens les plus inflexibles qui refusaient obstinément de considérer la moindre proposition de paix. Alors pourquoi ce retournement soudain ? Olmert a fait cette confession au quotidien israélien, « Ydiot Ahronot » : « J’étais le premier à vouloir renforcer la souveraineté israélienne sur la ville sainte. J’admets cela. Je n’étais pas préparé alors à voir la réalité dans toute sa profondeur ». En d’autres termes, quand il avait le pouvoir et exerçait une influence, Olmert était myope. Il ne voyait que la couche superficielle de la réalité. Apparemment il vient de retrouver une vue parfaite au moment même où il perd le pouvoir et l’influence.
Le cas Olmert nous édifie et confirme surtout ce qu’on pourrait qualifier de règle politique israélienne : les politiciens israéliens ne voient pas « la réalité dans toute sa profondeur » tant qu’ils sont au pouvoir. Les choses ne deviennent claires pour eux que le jour où ils le perdent.
Olmert a perdu le pouvoir, et il a perdu en même temps une occasion de se taire. Son appel aux Israéliens de faire la paix avec leurs voisins en rendant les territoires sonne faux. Maintenant qu’il est fortement affaibli a tout perdu il vient défendre le contraire de ce qu’il a défendu plus de quarante ans durant quand il avait le pouvoir et qu’il était puissant et influent. Dans son appel à rendre les territoires, on sent moins la conviction qu’une tentative désespérée de faire un grand bruit qui cacherait un bruit gênant, le bruit des casseroles de la corruption qu’Olmert traîne derrière lui. Et quand bien même Olmert pense ce qu’il dit, cela vient un peu tard. Un peu trop tard. L’Histoire est insensible aux gesticulations stériles des canards boiteux.

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