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Friday, September 19, 2008

L'Occident lâche-t-il Saakashvili ?

Par réflexe anti-russe, hérité sans doute de la longue tradition de l’anti-soviétisme qui avait marqué l’Occident pendant des décennies, aussi bien la presse que les responsables politiques en Europe et aux Etats-Unis ont adopté, sans prendre la peine de la vérifier, la version géorgienne des événements du mois d’août dernier. Cette version livrée dès les premiers jours du conflit aux médias américains et européens par le président géorgien, Mikheil Saakashvili, est la suivante : « La guerre a commencé le jeudi 7 août à 11 : 30 du soir après que le gouvernement géorgien a reçu divers rapports d’agences de renseignement faisant état de 150 véhicules militaires russes qui ont fait leur entrée dans le territoire géorgien, en Ossétie du sud, à travers le tunnel Roki (qui passe sous les montagnes du Caucase et relie l’Ossétie du nord à celle du sud.) Le gouvernement géorgien n’avait donc guère le choix que d’envoyer son armée s’opposer à l’envahisseur et l’empêcher d’atteindre les villages géorgiens. Et puis quand les tanks géorgiens ont fait mouvement vers Tskhinvali, les Russes étaient déjà en train de bombarder la ville. Ce sont eux qui ont réduit Tskhinvali en ruine et non les Géorgiens. » Voilà en substance la version défendue bec et ongles par Saakashvili quasi-quotidiennement sur CNN, BBC world et d’autres chaînes encore.
Adoptant cette version des événements, les médias occidentaux ont fait les portraits de Poutine dans l’habit du dictateur-agresseur et de Saakashvili dans l’habit du démocrate-agressé. Les gouvernements des Etats-Unis, de Grande Bretagne, de Suède, des pays baltes, de Pologne etc. ont tiré à boulets rouges en direction de Moscou, accusant les autorités russes de vouloir ressusciter l’empire soviétique. L’intellectuel américain, Robert Kagan, a comparé « l’agression russe » contre la Géorgie à l’agression hitlérienne de 1938 contre la région de Sudètes en Tchécoslovaquie, et l’intellectuel français, Bernard Henri Lévy s’est envolé de toute urgence vers la Géorgie dans le but « d’éclairer » l’opinion française (1) sur « les atrocités » commises par les troupes russes contre la pacifique armée géorgienne etc…
Mais le vent est en train de tourner et la version géorgienne est de plus en plus contestée après que les agences de renseignement occidentales ont rendu publiques des informations donnant une tout autre version des événements. Selon les services secrets occidentaux, le 7 août de bonne heure, les Géorgiens ont amassé 12000 soldats le long de la frontière avec l’Ossétie du sud. 75 tanks et des véhicules blindés de transport de troupes (le tiers de l’arsenal militaire géorgien) étaient prêts au combat près de la ville de Gori. Toujours selon les services secrets occidentaux, Saakashvili avait planifié une guerre éclair de 15 heures visant en premier lieu à fermer le tunnel Roki afin d’isoler l’Ossétie du sud de la Russie, avant de soumettre par les armes la province réticente au pouvoir central de Tbilissi.
Les agences de renseignement occidentales avaient enregistré les appels à l’aide lancés à la Russie à partir de l’Ossétie du sud. Elles ont également constaté que la 58ème armée russe, basée en Ossétie du nord n’était pas prête au combat au moment où elle a reçu les appels à l’aide. Le premier missile SS 21 a été tiré le 8 août à 7 : 30 du matin par l’armée russe contre l’armée géorgienne, et l’aviation russe est entrée en action un peu plus tard et les premiers soldats russes n’ont traversé le tunnel de Roki que le 8 août à 11 : 30 du matin alors que l’armée géorgienne était à l’œuvre depuis plus de 24 heures déjà. Qu’était arrivé au projet de Blitzkrieg et de blocage du tunnel de Roki planifiés par Saakashvili ? D’après les services de renseignements occidentaux, l’armée géorgienne s’était empêtrée dans des problèmes relatifs à l’utilisation de l’armement sophistiqué fourni par Israël et les Etats-Unis. En d’autres termes, les compétences de cette armée étaient bien en deçà du degré de sophistication de l’armement à sa disposition, c’est ce qui explique sa rapide déconfiture et la facilité avec laquelle les Russes l’ont écrasée en si peu de temps. Conclusion fondamentale des services de renseignement occidentaux : la Russie n’avait pas agi de manière offensive, mais elle a réagi à l’agression décidée par le téméraire Saakashvili.
Face à de telles évidences fournies par leurs services de renseignement, les pays occidentaux ne pouvaient pas continuer à soutenir aveuglément la Géorgie et s’en prendre férocement à la Russie. Saakashvili est de plus en plus montré du doigt par ceux-là même qui, jusqu’à une date récente, l’ont dépeint en victime et les clichés anti-russes (l’ours revanchard veut ressusciter l’empire) sont, du moins momentanément, rangés dans les tiroirs.
On imagine le désarroi du président géorgien quand il a entendu l’un des représentants de l’administration Bush, Daniel Fried, secrétaire d’Etat adjoint aux affaires européennes et eurasiennes, déclarer que « la Géorgie a marché sur la capitale de l’Ossétie du sud ». On imagine son désespoir quand il a entendu le ministre allemand des affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, exiger « des clarifications sur la question des responsabilités relatives au déclenchement de la guerre du Caucase » et soutenir fermement les appels à une enquête internationale à ce sujet. On imagine enfin sa frustration que ne manquera pas de provoquer la visite médiatisée du Premier ministre français, François Fillon, entamée hier à Moscou à la tête d’une importante délégation, pour discuter avec son homologue russe Vladimir Poutine de la crise financière internationale et de l’intensification des échanges commerciaux franco-russes et non de la crise du Caucase.
Mais le plus grave et le plus inquiétant pour Saakashvili, ce sont les appels de plus en plus insistants de l’opposition géorgienne qui exige son départ après le désastre que son incompétence a infligé au pays. Le mélange d’arrogance, d’incompétence et d’impulsivité qui caractérise la personnalité du président géorgien finira par lui être fatal. Il devra peut-être se préparer à quitter le monde politique à un âge où d’autres se préparent à y entrer.

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