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Monday, September 08, 2008

La mission difficile de la France

L’automne 2008 semble être la saison la plus propice pour la France qui cherche depuis longtemps à reprendre pied au Moyen-Orient. Elle a actuellement la présidence du Conseil européen et, si elle réussit, c’est l’Union européenne dans son ensemble qui gagnera en influence dans une région d’où les Etats-Unis et Israël ont depuis longtemps évincé toute puissance qui n’épouserait pas les vues américano-israéliennes sur les causes et les solutions du conflit israélo-arabe.
Pratiquement durant les quatre dernières décennies, Washington et Tel Aviv, excluant tout autre acteur majeur dans la région, ont fait du Proche Orient leur zone d’influence exclusive à travers « l’alliance stratégique » entre les deux pays. Israël, financé, armé et protégé diplomatiquement à l’ONU par les Etats-Unis, s’est comporté en Etat-bandit n’hésitant jamais à utiliser dans l’impunité la plus totale les armes américaines les plus meurtrières contre les civils palestiniens. Washington, de son côté, à travers un système d’alliance et de clientélisme dans la région Golfe-Moyen-Orient a réussi, malgré la grande inimitié avec l’Iran, à assurer stabilité et écoulement régulier du pétrole.
Le paradoxe majeur dans cette « alliance stratégique » israélo-américaine est qu’Israël, force destabilisatrice par excellence, est financé et armé par une puissance dont les intérêts dépendent fortement de la stabilité régionale. Il faut dire que ce paradoxe a disparu avec l’arrivée de George W. Bush dont le régime s’est révélé être particulièrement destabilisateur.
L’automne qui s’annonce va connaître pour quelques mois une sorte de vacance de pouvoir à la fois à Washington et à Tel Aviv. Aux Etats-Unis, les Américains n’ont d’autre préoccupation que d’élire leur prochain président, et l’administration Bush, qui vit ses derniers jours, ne dispose désormais que du pouvoir qui lui permet de gérer les affaires courantes en attendant la mise en place de la prochaine administration le 20 janvier prochain. En Israël, le départ annoncé du Premier ministre Olmert et les élections anticipées qui devraient suivre mettent ce pays dans une situation similaire à celle des Etats-Unis, c'est-à-dire dans une position où les politiciens gèrent les affaires courantes mais n’ont pas le pouvoir de prendre des décisions importantes.
Le président français, Nicolas Sarkozy, a eu l’intelligence de ne pas rater cette occasion pour tenter de préparer le terrain à la France, et éventuellement à l’Europe (si la Grande Bretagne et les Européens de l’Est jouent le jeu) de s’impliquer dans les grands marchandages politiques et diplomatiques qui s’annoncent.
En recevant le président syrien à Paris en juillet et en se rendant lui-même à Damas en septembre, Sarkozy a fait preuve de courage, car, même s’il se préoccupait peu des critiques en provenance d’Israël et des Etats-Unis, il ne pouvait ignorer que sa double initiative ne manquerait pas de faire des vagues en France, et, surtout, de ne pas bénéficier de l’unanimité européenne. Il faut dire que le président syrien, Bachar al Asad lui a énormément facilité la tâche en ne s’opposant plus à l’élection du président libanais, en acceptant d’établir pour la première fois des relations diplomatiques avec le Liban et en entament des négociations pour le traçage définitif des frontières avec ce pays.
En se rendant en Syrie, Sarkozy savait qu’il froisserait quelque peu les relations de la France avec l’Egypte et l’Arabie Saoudite. Mais il savait aussi que la France n’aurait aucune chance de jouer le moindre rôle au Moyen-Orient si elle persistait à geler ses relations avec Damas.
Si la France a réussi à obtenir ce qu’elle veut au Liban de la part des Syriens, les deux autres objectifs qu’elle vise à travers son ouverture sur la Syrie ne sont pas faciles à réaliser. Sarkozy a pu mesurer lors de son voyage la difficulté d’éloigner Damas de Téhéran. Visiblement il a échoué à transmettre au président syrien sa « conviction » que l’Iran poursuivait un programme nucléaire à des fins militaires. Asad a continué à défendre face à Sarkozy sa propre « conviction » que le programme nucléaire iranien est purement civil. Mais cette divergence de taille n’a pas entravé la nouvelle entente qui se dessine entre les deux présidents.
L’autre objectif (parrainer le processus de paix syro-israélien) ne dépend pas seulement de la bonne volonté de Damas. Certes le président syrien a invité la France à jouer les intermédiaires dans ce processus de paix, mais il a fait savoir aussi, ce que tout le monde sait par ailleurs, que rien ne se fera sans l’implication de la prochaine administration américaine.
Le problème, c’est que la prochaine administration américaine, qu’elle soit celle d’Obama ou de McCain, si elle continue à vouloir agir seule au Moyen-Orient et à soutenir Israël dans tout ce que ce pays entreprend, le statu quo intenable risque de se poursuivre avec au bout du chemin une conflagration inévitable aux conséquences imprévisibles. Pour briser le statu quo qui prévaut depuis des décennies au Proche-Orient, il faut miner le pouvoir de blocage que continuent d’exercer les Etats-Unis et Israël à l’égard de tout progrès dans la résolution de l’immense contentieux qui continue d’opposer Arabes et Israéliens.
Si la France est déterminée à jouer un rôle positif au Proche-Orient, elle doit d’abord tirer les leçons de l’amère expérience américaine qui n’a pas contribué à faire avancer le processus de paix d’un iota à cause de l’incapacité congénitale de Washington de se comporter en intermédiaire impartial et honnête. Ensuite, bénéficiant côté arabe du soutien des principaux intéressés, Palestiniens et Syriens en particulier, Sarkozy a la difficile tâche de convaincre ses amis israéliens d’accepter un rôle de la France qui serait fondamentalement différent de celui des Etats-Unis. Enfin, si la France veut impliquer l’Union européenne dans son ensemble dans une mission de paix au Proche-Orient, une autre tâche difficile l’attend : convaincre de son projet non seulement une Grande Bretagne fondamentalement pro-américaine, mais aussi les pays de « la nouvelle Europe » qui regardent vers Washington avec l’admiration et le zèle des nouveaux convertis.

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