airelibre

Saturday, September 27, 2008

Spectre d'"afghanisation" du Pakistan

Beaucoup de responsables politiques et militaires à Washington ne cachent pas leur amertume face à ce qu’ils considèrent comme « le laxisme » du Pakistan à s’engager sérieusement dans la guerre contre le terrorisme. Ils sont d’autant plus amers que, depuis septembre 2001 et jusqu’à ce jour, plus de dix milliards de dollars en aide militaire ont été fournis à l’armée pakistanaise. Ils sont d’autant plus amers aussi que les escarmouches entre forces américaines et pakistanaises dans la zone frontalière avec le Pakistan font depuis quelques temps les grands titres de l’actualité internationale. Il y a trois ou quatre jours, des hélicoptères de reconnaissance de l’US Army ont essuyé des tirs de l’armée pakistanaise, déclenchant au sol des affrontements entre celle-ci et des soldats américains.
L’autre raison de cette amertume américaine est que le Pakistan, selon Washington, a utilisé les milliards de dollars d’aide pour acheter des avions de combat et de l’armement lourd qui « pourrait être utile dans une éventuelle confrontation avec l’Inde, mais en aucun cas dans la guerre contre le terrorisme. »
Evidemment, le Pakistan a une tout autre vue des choses que le nouveau président, Asif Ali Zardari, a clairement exprimé il y a quelques jours devant les délégués de l’actuelle session de l’Assemblée générale de l’ONU qui se tient à New York. Evoquant le terrible attentat de la semaine dernière contre l’hôtel ‘Marriot’ d’Islamabad, Zardari a affirmé : « Encore une fois, le Pakistan est la grande victime du terrorisme. Encore une fois, notre peuple se demande si nous ne sommes pas seuls dans cette bataille. Des milliers de soldats et de civils sont morts dans ce combat. Nous avons perdu plus de soldats que l’ensemble des 37 pays qui ont des forces en Afghanistan. Nous avons mené la guerre contre le terrorisme largement seuls. »
Les vues d’Islamabad et de Washington sur la guerre contre le terrorisme sont difficilement réconciliables, ce qui met en péril l’alliance entre les deux pays qui, depuis pratiquement la création du Pakistan en 1947, a toujours été exemplaire.
Nul ne peut nier que le Pakistan est obsédé par « la menace » venant de l’Inde plutôt que par celle venant de son petit voisin de l’ouest qui vit dans l’anarchie depuis 30 ans. Nul ne peut nier aussi que les services de renseignements de l’armée pakistanaise (ISI) ont massivement aidé les talibans à conquérir le pouvoir, et certains soutiennent même qu’ils continuent jusqu’à ce jour à entretenir des liens avec les hauts responsables du mouvement obscurantiste afghan. Nul ne peut nier enfin que les autorités pakistanaises sont déchirées entre la volonté de poursuivre les terroristes qui tentent d’ « afghaniser » le pays et la peur d’être perçues par le peuple comme faisant « le sale boulot » des Américains.
Face à cette réalité, les Etats-Unis ont commis tellement d’erreurs en Afghanistan que les problèmes de ce pays n’ont cessé de gagner en complexité et en gravité au point de menacer d’entraîner le Pakistan dans l’anarchie.
Passons sur le fait que Washington s’est désintéressé de l’Afghanistan avant de déraciner Al Qaida et le régime des talibans pour se pencher sur les préparatifs de sa guerre d’agression contre l’Irak. Mais quand les Américains sont revenus à la charge avec les forces de l’Otan pour terminer le travail, il était déjà un peu tard. Car, d’une part Al Qaida s’est solidement installée au Waziristan et a trouvé aide et protection chez les courants intégristes qui dominent cette région autonome. Et d’autre part, les talibans afghans se sont assurés une profondeur stratégique dans ce même Waziristan qui leur a permis non seulement de survivre, mais de reprendre leurs offensives contre les forces étrangères en Afghanistan.
Celles-ci, depuis qu’elles combattent le terrorisme en Afghanistan ont tué plus de civils que de terroristes. Les bavures répétitives et mortelles contre les concentrations de civils ont énormément aidé les talibans à bénéficier à nouveau du soutien d’un peuple qui, en octobre 2001, était pourtant soulagé de l’effondrement de leur régime.
L’explication principale de ces bavures réside dans la peur des troupes étrangères à s’engager dans les combats terrestres avec les talibans, préférant la sécurité des bombardements aériens. Cette stratégie a engendré de grands dommages collatéraux parmi les civils, une grande impopularité de l’Otan et des Etats-Unis et la possibilité pour les talibans de traduire la neutralité bienveillante pour ne pas dire la complicité des populations en attaques de plus en plus meurtrières contre les forces étrangères.
Les groupes terroristes liés à Al Qaida semblent déterminés à étendre au Pakistan l’anarchie qui sévit en Afghanistan. L’attaque gigantesque qui a détruit la semaine dernière l’hôtel ‘Marriot’ d’Islamabad en faisant un cratère de 8 mètres de profondeur s’inscrit clairement dans cette stratégie. Et à ce niveau, les bombardements américains du Waziristan ne sont pas une menace pour les groupes terroristes, mais un pain bénit. On imagine la joie d’Al Qaida et des talibans chaque fois que les Etats-Unis bombardent le Waziristan et tuent des civils. Chaque bombe américaine sur les concentrations de civils au Waziristan est un pas vers « l’afghanisation » du Pakistan. Il est étonnant que les décideurs à Washington n’entendent toujours pas les sonnettes d’alarme qui ne cessent de les mettre en garde contre le danger de voir un pays détenteur de l’arme nucléaire sombrer dans l’anarchie.

0 Comments:

Post a Comment

<< Home