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Tuesday, June 22, 2010

L'histoire se répète au Kirghizistan

Les médias internationaux ont « couvert » les événements sanglants du Kirghizistan comme étant des affrontements ethniques opposant Ouzbeks et Kirghizes. Les choses sont un peu plus compliquées. L’irruption de violence dans cette ex-république soviétique d’Asie centrale a été aussi soudaine que dévastatrice, les morts et les blessés se comptant par milliers.
Il y a cinq ans, les projecteurs de l’actualité internationale étaient aussi braqués sur ce pays montagneux d’Asie centrale. Les élections législatives avaient alors mal tourné, car le président de l’époque, Akaiev, avait tenté d’imposer une majorité de son choix au mépris du suffrage universel. C’était le début de la « révolution des tulipes » qui avait provoqué la fuite d’Akaiev et l’arrivée au pouvoir de Bakiev.
L’histoire se répète donc, puisqu’on assiste depuis deux ou trois semaines à des événements similaires, mais beaucoup plus sanglants que ceux de 2005. L’ancien président Bakiev a pris la route de l’exil empruntée par son prédécesseur, et le gouvernement provisoire dirigé par Roza Otoumbaeva tente désespérément de ramener l’ordre dans le pays afin de procéder au référendum constitutionnel qui devrait le légitimer.
La coloration ethnique qu’on a voulu donner aux affrontements du Kirghizistan n’est pas tout à fait conforme à la réalité. Tout d’abord, Kirghizes et Ouzbeks ont toujours vécu côte à côte sinon harmonieusement, du moins pacifiquement ; peu de différences culturelles distinguent les deux ethnies. Ensuite, au cours des événements sanglants, dans les quartiers mixtes, Ouzbeks et Kirghizes ont mis sur pied des milices mixtes pour s’opposer aux bandes armées et aux bandits qui terrorisaient les populations civiles. Sans parler des familles kirghizes qui ont caché leurs voisins ouzbeks. Enfin, les snipers repliés sur les toits tiraient sur les passants indistinctement et indépendamment de leur appartenance ethnique.
Certes, près d’un demi million d’Ouzbeks ont fui et se sont massés sur la frontière d’Ouzbékistan. Mais dans les situations d’insécurité extrême, une simple rumeur peut secouer des villes entières, provoquer des dégâts considérables et avoir de graves conséquences sur les mouvements des populations.
A la question classique : « à qui profite le crime ? », les doigts accusateurs sont pointés actuellement vers Kourmanbek Bakiev qui se trouve en Biélorussie. Il est accusé d’avoir fomenté les troubles pour préparer son retour au pouvoir.
Le cas de présidents qui viennent au pouvoir à la faveur de mouvements sociaux et qui, au lieu de remettre le pays au travail, font pire que leurs prédécesseurs, n’a rien de surprenant. Kourmanbek Bakiev a tout fait pour se faire détester à la fois par son propre peuple et par les deux puissances présentes dans la région, les Etats-Unis et la Russie.
Par sa politique économique et sociale désastreuse, l’ancien président a mobilisé contre lui à la fois l’opposition organisée et la « rue kirghize », ce qui l’a obligé à quitter tout à la fois le pouvoir et le pays.
Sa politique envers Moscou et Washington n’était pas moins désastreuse. Sa chute a été accueillie avec un certain soulagement, même si les Russes et les Américains ne cachent pas leur inquiétude face au risque de contagion de l’instabilité dans toute l’Asie centrale.
Bakiev a perdu la confiance de Moscou et de Washington par sa duplicité qui ne peut s’expliquer que par la cupidité et le désir d’encaisser l’argent à n’importe quel prix. Il a encaissé une partie des deux milliards de dollars d’argent russe en contrepartie de sa promesse de fermer la base américaine de Manas. Mais au lieu de concrétiser sa promesse, il a fait volte-face en renégociant le loyer de la base en question, vitale pour la guerre en Afghanistan. N’ayant guère le choix, Washington a accepté de payer 66 millions de dollars par an, au lieu de 17 millions précédemment. Prenant les Russes pour des enfants de chœur, Bakiev a cru pouvoir les berner en changeant le nom de la base de Manas qui devient « Centre de transit » des forces américaines vers l’Afghanistan.
La colère des Russes est légitime, et l’on comprend leur soulagement de voir renversé le président kirghize, accusé de « trahison » par Moscou. Cependant, en dépit des appels pressants à l’aide de la part de la présidente par intérim, Roza Otoumbaeva, la Russie n’est pas intervenue pour aider à faire régner l’ordre.
Deux éléments expliquent la réticence des Russes à intervenir pour aider les ennemis de leur ennemi renversé. D’abord la base russe de Kant et les 500.000 citoyens russes se trouvent au nord du pays, loin des troubles qui affectent quasi-exclusivement le sud. Ensuite, l’armée russe ne peut pas oublier sa calamiteuse intervention dans la guerre civile qui a ensanglanté le Tadjikistan entre 1992 et 1997. N’ayant pu s’interposer entre les factions rivales, l’armée russe, sans le vouloir, s’était trouvée impliquée dans cette terrible guerre civile qui a fait entre 50.000 et 100.000 morts.
La lutte d’influence entre Américains et Russes au Kirghizistan est suspendue par les troubles actuels. Elle reprendra sans aucun doute dès la normalisation de la situation. Le prochain gouvernement kirghize se trouvera indiscutablement tiraillé entre les sollicitations de Washington d’une part, et celles de Moscou de l’autre. Sa chance consiste à tirer les leçons des erreurs des deux gouvernements précédents d’Akaev et de Bakiev. Sa survie est liée à une politique sociale et économique appropriée d’abord, et à l’abandon de la duplicité dans sa politique d’octroi des bases étrangères. Autrement, les Kirghizes se retrouveraient, peut-être en 2015, avec les mêmes événements sanglants qu’ils ont vécus ces dernières semaines.

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