airelibre

Saturday, June 12, 2010

"Les vrais hommes" restent chez eux...

Il y a quelque chose d’étonnant qui se déroule au sein de l’administration américaine. Il n’y a pas si longtemps, le président Obama avait envoyé une lettre au président brésilien Luis Ignacio Lula da Silva, l’encourageant à aller de l’avant dans ses contacts avec l’Iran dans le but de convaincre ce pays d’accepter la proposition d’échange d’uranium à travers une tierce partie.
Après que le Brésil et la Turquie aient réussi à arracher un accord à l’Iran sur le sujet, ces deux pays ont, à leur grande stupéfaction, été vertement critiqués par la Maison blanche et le département d’Etat. La lettre d’encouragement d’Obama à Lula da Silva ayant été rendue publique par le Brésil, les Etats-Unis, comme si de rien n’était, ont persisté dans leur campagne anti-iranienne, multipliant les pressions, ouvertement et dans les coulisses, jusqu’au vote mercredi dernier de la résolution 1929 du Conseil de sécurité, alourdissant les trois autres trains de sanctions imposés à l’Iran, et dont le premier fut décidé en 2006 sous l’instigation des néoconservateurs qui pullulaient alors au sein de l’administration George W. Bush.
Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un pays comme les Etats-Unis changent d’avis, compte tenu de la complexité des mécanismes de prise de décision qui caractérise Washington et compte tenu aussi du jeu d’influence auxquels se livrent divers courants d’idées et divers groupes d’intérêts. Ce qui étonne en revanche c’est que ce pays se montre assez sûr de son droit au point de ne pas hésiter à demander des comptes et exiger des explications au Brésil et à la Turquie pour leur vote négatif au Conseil de sécurité.
Le moins que ces deux pays puissent faire est de voter contre une résolution imposée par les Etats-Unis et leurs alliés au mépris des efforts, tout à fait louables par ailleurs, déployés par le président brésilien et le Premier ministre turc. En effet, Luis Ignacio Lula da Silva et Recep Tayyip Erdogan ont même fait le déplacement à Téhéran pour donner toutes les chances à un accord avec l’Iran. Que dirait le monde si Brasilia et Ankara votaient en faveur de la résolution 1929 ? « Ç’aurait été déshonorant », a affirmé le Premier ministre turc, et il a raison. Par conséquent quand Washington exprime sa mauvaise humeur et s’arroge le droit de demander des comptes au Brésil et à la Turquie pour leur vote négatif mercredi au Conseil de sécurité, on ne peut que partager la stupéfaction des Brésiliens et des Turcs.
Si l’on en juge par le discours du 4 juin 2009 au Caire dans lequel Obama avait fait l’éloge de la « grande civilisation persane » et avait tendu la main à l’Iran, et si l’on en juge aussi par la lettre adressée aux autorités brésiliennes, les encourageant à attirer l’Iran sur la voie du compromis, on constatera que le président américain était bien disposé à l’égard de l’Iran et voulait en toute bonne foi arriver à un accord diplomatique sur la question du nucléaire iranien. Or, même quand les autorités brésiliennes ont rendu publique la lettre d’encouragement, Obama n’a pas jugé utile de défendre sa position initiale qui se caractérise par la modération et qui se trouve maintenant littéralement submergée par le tintamarre anti-iranien déclenché par des politiciens occidentaux et amplifié par certains médias, américains surtout.
On ne peut s’empêcher de penser que le durcissement de la position d’Obama est dû à son entourage. Certains observateurs y voient la marque de sa secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, et de son principal collaborateur, Rahm Emanuel, tous deux suffisamment anti-iraniens pour rejeter l’accord signé entre Brasilia, Ankara et Téhéran. D’autres y voient un retour en force de l’influence des néoconservateurs qui ruminent toujours leur frustration de n’avoir pas fait subir le sort de l’Irak à la Syrie et à l’Iran.
Juste après l’effondrement du régime de Saddam Hussein au printemps 2003, une « blague » circulait au sein de ce courant destructeur pour savoir « quelle direction prendre ensuite, la Syrie ou l’Iran ? ». La réponse des plaisantins néoconservateurs était : « Real men go to Teheran » (les vrais hommes vont à Téhéran). Apparemment, ils sont redevenus actifs aux Etats-Unis et sont en train de pousser à nouveau dans le sens de la concrétisation de leur plaisanterie de mauvais goût.
Le signe le plus inquiétant est la réédition de la campagne anti-irakienne de 2002-2003, mais qui vise cette fois l’Iran. Les mêmes journaux qui étaient à la pointe de la campagne contre l’Irak, le New York Times et le Washington Post, mobilisent une fois encore leurs mercenaires de la plume qui se déchaînent contre un pays qui n’a agressé personne, qui n’a occupé personne et dont l’unique tort est d’avoir un régime politique que Washington et Tel Aviv abhorrent.
Pour donner quelques exemples, le New York Times déplore que « le Conseil de sécurité n’ait pas allé très loin dans les sanctions », s’en prend avec virulence à la Turquie et au Brésil qui « se sont laissés manipuler par l’Iran », et le manitou du journal, Thomas Friedman, n’hésite pas à exhorter les Etats-Unis à « tout faire pour aider les démocrates iraniens à renverser Ahmadinejad »…
Le même Thomas Friedman avait exhorté les mêmes Etats-Unis en 2002 à « aider le démocrate Ahmad Chalabi à renverser Saddam Hussein ». On connaît la suite. Le pire des aveugles est celui qui ne veut pas voir, dit le proverbe. On peut ajouter que le pire des politiciens (et des commentateurs) est celui qui ne tire pas les leçons du passé.
Contrairement à ce que disent les néoconseravateurs, « les vrais hommes » ne vont pas à Téhéran, mais restent chez eux et méditent sur les malheurs, à la fois infligés et subis, par leur pays en Irak et en Afghanistan. La vie de tous serait beaucoup mieux, si les Etats-Unis renonçaient à cette mauvaise habitude d’arpenter le monde à la recherche de « monstres à abattre ».

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