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Wednesday, March 17, 2010

Saper la paix pour plaire au Lobby

Imaginez un homme influent, par exemple un parlementaire, qui défend bec et ongles la conduite en état d’ivresse. Il est plus que probable que ses collègues feront le nécessaire pour que les services appropriés envoient une voiture, une camisole et deux solides gaillards afin que ce défenseur du droit des ivrognes à prendre le volant soit amené manu militari et placé dans un asile psychiatrique. Ceci est valable évidemment quand on se trouve dans une situation normale où les acteurs ne font pas l’objet de quelque chantage, ont un minimum de bon sens et ne perdent pas le contact avec la réalité, ce qui, malheureusement, n’est pas toujours le cas.
Thomas Friedman est l’un des journalistes les plus influents et les plus célèbres aux Etats-Unis. Ses chroniques régulières au New York Times défendent assez souvent « la démocratie israélienne » et pourfendent les Arabes pour un tas de raisons dont il semble convaincu, mais qui sont loin d’être convaincantes.
Friedman, qui est « a big Joe Biden fan », était furieux contre le traitement subi par le vice-président américain en Israël. Pour défendre son idole, il a écrit un commentaire intitulé « Driving drunk in Jerusalem » (Conduire en état d’ivresse à Jérusalem) que le New York Times a publié dans son édition du 13 mars dernier. Dans ce commentaire, Friedman regrette que Joe Biden n’ait pas quitté Israël le jour même de son arrivée après avoir écrit ce petit billet à l’attention de Netanyahu & Co. : « Les amis ne laissent pas leurs amis conduire en état d’ivresse. Et en ce moment, vous êtes en train de conduite en état d’ébriété. Vous croyez pouvoir vous en prendre impunément à votre seul véritable allié dans le monde pour satisfaire quelque besoin de politique intérieure ? Appelez-nous quand vous serez sérieux… »
Le problème est qu’aujourd’hui, il y a des hommes influents aux Etats-Unis qui font tout pour qu’Israël ne devienne jamais un Etat sérieux, ne revienne jamais à la raison et poursuive indéfiniment sa conduite suicidaire en état d’ébriété. Ces hommes se comptent par milliers à Washington, et il est difficile de croire qu’ils sont convaincus dans leur for intérieur que la conduite en état d’ivresse est le meilleur moyen de transporter les passagers en toute sécurité. Ce n’est donc pas la conviction qui les guide, mais la peur. Ces milliers d’hommes influents aux Etats-Unis ont une peur religieuse de ce conducteur ivre qui leur a prouvé sa capacité de détruire leur carrière si jamais ils se résolvent à dire un jour la vérité, à déclarer publiquement que les dégâts causés depuis des décennies sur le chemin de la paix sont provoqués par la conduite en état d’ivresse des politiciens israéliens, et non par ceux qui appellent au respect du code de la route et à la conduite en état de sobriété.
Eric Cantor est le représentant républicain de l’Etat de Virginie au Congrès. Il est le prototype de ce politicien américain coulé de manière si parfaite dans le moule du Lobby pro-israélien au point qu’il oublie qui il est, qui il représente et pour la défense de quels intérêts il a été élu. A l’entendre parler, on ne peut pas croire qu’il a été élu par les habitants de l’Etat de Virginie pour défendre leurs intérêts dans les structures législatives de l’Etat fédéral, mais nommé par le Lobby pour être le porte-voix d’Israël et de défendre tout ce que fait ce pays sans se poser de questions et surtout en veillant à maintenir anesthésiées ses fonctions cérébrales réservées à l’appréciation critique des événements.
Quand, pour une fois, l’administration américaine a osé parler à Israël le langage de la vérité, après l’étonnante humiliation dont était victime la semaine dernière le vice-président Joe Biden, Eric Cantor s’est transformé en ce genre d’automate qu’on remonte par la clé plantée dans le dos et qui commence à s’agiter dès qu’on le relâche : « Dans son effort de s’insinuer dans la grâces du monde arabe, cette administration a fait preuve d’une troublante impatience de miner nos alliés et nos amis. Israël a toujours été engagé dans le processus de paix, défendant le choix de négociations directes entre Palestiniens et Israéliens, afin de trouver une solution à ce conflit. Malheureusement, le gouvernement palestinien continue d’insister sur les négociations indirectes et de ralentir le processus. » Mais Cantor va plus loin encore en s’en prenant avec virulence à l’administration américaine qui « ignore les provocations palestiniennes qui minent les perspectives de paix dans la région. » Et de se demander : « Où est la colère quand les responsables du Fatah appellent à des manifestations au Mont du Temple (l’Esplanade des Mosquées) ? Pourquoi ne dénonce-t-on pas l’Autorité palestinienne quand elle organise des cérémonies célébrant la femme responsable de l’attaque terroriste la plus meurtrière dans l’histoire d’Israël (1) ? C’est sans doute la politique des deux poids et deux mesures de l’administration (américaine) qui est à l’origine de l’échec du processus de paix. »
On reste pantois face à cette extraordinaire capacité de cet homme politique américain de défigurer si effrontément la réalité. Avec l’aide des milliers de ses semblables, il fait tout pour bloquer toute évolution qui soit dictée par la raison et par une évaluation critique de la réalité en vue de la transformer en fonction des intérêts de tout le monde. Car, dans la région du Moyen-Orient, Arabes, Israéliens et Américains ont tous intérêt à ce que la paix règne. Et la paix ne règnera pas tant que les Eric Cantor américains adoptent cette attitude servile vis-à-vis du Lobby et se soumettent à ses ordres de défendre le droit des dirigeants d’Israël à conduire en état d’ébriété et de faire assumer la responsabilité des dégâts à ceux qui conduisent en état de sobriété.

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(1) Eric Cantor fait allusion à Dalal al-Mughrabi qui avait participé en 1975 à une action de la résistance palestinienne ayant fait 36 morts en Israël.

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