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Wednesday, March 24, 2010

L'AIPAC et le général trouble-fête

Les gens de l’AIPAC, le lobby pro-israélien aux Etats-Unis, sont contents et satisfaits. Lundi dernier, 8000 personnes ont assisté à leur banquet qui se tient annuellement à Washington et qui attire, comme d’habitude, la plupart des politiciens américains soit par conviction, soit par souci de ne pas figurer sur la liste des personnalités « tièdes » envers Israël. Les « Aipaciens » sont donc si contents de cette affluence « sans précédent » et si flattés aussi qu’ils n’ont pu s’empêcher de se comparer vaniteusement à l’équipe de basket-ball de Washington, les « Wizards » (Les Magiciens) qui « n’arrivent pas à attirer autant de monde »…
Le rituel est le même d’une année à l’autre, les discours répétitifs, la rhétorique banale et les clichés rouillés. On peut parfaitement résumer les contenus de la conférence de lundi dernier et des conférences de l’année prochaine et de celle d’après en quelques mots : « Jérusalem est la capitale éternelle et indivisible d’Israël » ; « Ce ne sont pas les colonies qui font obstacle à la paix, mais la mauvaise volonté des Palestiniens » ; « Le soutien américain à Israël, c’est du roc » ; « Les intérêts d’Israël et des Etats-Unis sont indissociables » ; « Le danger qui menace toute la région provient de l’Iran » ; « La bombe iranienne constitue un danger existentiel pour Israël » ; « Le Hezbollah et le Hamas sont des mouvements terroristes qu’il faut détruire avant qu’ils ne détruisent Israël »…
En toute honnêteté et en toute objectivité, y a-t-il le moindre rapport entre ces discours-clichés récités automatiquement dans les banquets de l’AIPAC et la réalité ? Aucun. Quand Netanyahu nous dit que « tout le monde sait que Jérusalem est la capitale éternelle et indivisible d’Israël », il ment, car tout le monde sait que depuis 42 ans, pas un seul Etat, pas une seule institution sur la planète Terre n’a reconnu la mainmise israélienne sur la Ville sainte. Et quand le sénateur républicain de la Caroline du sud, Lindsey Graham, et son collègue démocrate de New York, Charles Schumer, se déchaînent contre « la menace nucléaire iranienne qui pourrait mener à un second holocauste » et, tout en feignant l’émotion, concluent leurs discours par le rituel « Plus jamais ça ! », ils mentent aussi, car tout le monde sait que les Iraniens, à supposer qu’un jour ils auront la bombe, ne sont pas assez fous pour exposer leur pays à une pluie de fusées nucléaires israéliennes et américaines pour le seul plaisir de lancer un machin atomique sur la tête des Israéliens.
Mais en dépit de la grande affluence, en dépit de la joie affichée par les « Aipaciens », en dépit de la rhétorique émotionnelle habituelle, une inquiétude inhabituelle planait sur le banquet de l’AIPAC lundi dernier. Car, que les organisateurs le reconnaissent ou non, la conférence de cette année s’est déroulée au moment où les relations israélo-américaines passent par une crise grave, « sans précédent depuis 35 ans », comme l’a qualifiée l’ambassadeur israélien à Washington.
Le problème pour les « Aipaciens » cette année est que le fondement de la crise israélo-américaine est sérieux et ne peut être traité par les méthodes habituelles en accusant ceux qui l’ont fait éclater d’ « antisémites », de les faire discréditer et de détruire leurs carrières. Le problème pour l’AIPAC cette année est que celui qui a fait éclater la crise n’est pas un de ces politiciens ordinaires qu’on peut isoler et même faire disparaître de la scène en finançant généreusement ses concurrents lors des prochaines élections.
Contrairement à ce qu’on croit, la crise actuelle ne trouve pas son origine dans l’humiliation subie par le vice président Joe Biden en Israël, mais par les déclarations inhabituelles et qui ont pris tout l’establishment washingtonien par surprise, celles du général David Petraeus, le patron du Central Command (Centcom) qui gère deux guerres dans deux pays musulmans où sont engagés pas moins de 200.000 soldats américains : « Les hostilités persistantes entre Israël et certains de ses voisins représentent des défis évidents pour notre capacité à faire avancer nos intérêts dans le AOR (zone de responsabilité de Centcom). Les tensions israélo-palestiniennes se transforment souvent en violence et en confrontations armées à grande échelle. Le conflit provoque un sentiment anti-américain à cause de la perception du favoritisme des Etats-Unis à l’égard d’Israël. La colère arabe sur la question palestinienne limite la puissance et la profondeur de nos relations avec des gouvernements et des peuples dans l’AOR et affaiblit la légitimité des régimes modérés dans le monde arabe. Pendant ce temps là, Al Qaida et d’autres groupes militants exploitent la colère pour mobiliser. » Le général Petraeus conclut : « Le progrès dans la résolution des différends politiques dans le Levant, et en particulier le conflit israélo-arabe, est une préoccupation majeure du Centcom. »
Pour l’AIPAC, ces déclarations faites devant le sénat par le général le plus populaire et le plus respecté aux Etats-Unis sont un véritable cauchemar dans la mesure où elles mettent à nu les vérités que le Lobby a toujours cherché à cacher : Israël et les groupes de pression qui le soutiennent mettent en danger la sécurité des Etats-Unis.
L’Anti-Defamation League (ADL), la principale composante de l’AIPAC, a tout de même pris la peine de répondre au général Pertaeus, mais cette fois en pesant soigneusement ses mots, ce qui en dit long sur l’inquiétude du Lobby, habitué à des attaques féroces contre quiconque franchit les lignes rouges. Abraham Foxman, le président de l’ADL, prompt à tirer pour un oui ou pour un non l’arme de l’ « antisémitisme », a cette fois qualifié son adversaire de « patriote et héros », même s’il a jugé ses déclarations « graves et contreproductives ». La brèche ouverte par le général David Petraeus dans le barrage érigé par le Lobby pour protéger Israël est suffisamment large pour être colmatée facilement. Une chose est sûre, l’élargissement continu de cette brèche est dans l’intérêt évident des Etats-Unis et de la paix dans le Levant.

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