airelibre

Wednesday, March 31, 2010

Irak: manoeuvres post-électorales explosives

Sept ans après l’invasion de l’Irak, l’Iran, sans fournir le moindre effort, est toujours là à récolter les fruits de ce qu’il n’a pas semé et à collectionner les avantages politiques et stratégiques qu’il n’avait jamais imaginé dans ses rêves les plus fous se voir un jour offrir de la part de son pire ennemi sur un plateau d’argent. Les Etats-Unis, de leur côté, n’avaient jamais imaginé, dans leurs scénarios les plus cauchemardesques, que leur mésaventure irakienne allait servir si généreusement leur ennemi iranien et desservir si copieusement leurs propres intérêts stratégiques dans la région.
Cette vérité, qui a émergé dès les premiers mois de l’invasion américaine, est aujourd’hui visible dans toute sa plénitude à la lumière de l’imbroglio politique qui secoue l’Irak depuis l’annonce des résultats très serrées des élections législatives. La décision relative à tout ce qui concerne de près ou de loin le prochain gouvernement irakien sera très vraisemblablement fabriquée à Téhéran plutôt qu’à Washington et encore moins à Bagdad.
Même s’il a réalisé une belle victoire sur le front intérieur en imposant sa réforme de l’assurance-maladie, le président Obama demeure absorbé par une multitude d’autres problèmes, dont le chômage, la guerre d’Afghanistan, l’instabilité au Pakistan, l’incapacité à influer sur le conflit israélo-arabe et à tenir en laisse les dirigeants israéliens etc. Par conséquent, la dernière chose que la Maison blanche souhaiterait c’est d’être embarquée dans la galère des querelles post-électorales irakiennes. Il n’est pas clair si les Etats-Unis ont une préférence pour un courant ou un autre. Mais, après sept années d’engagement très coûteux en sang et en argent, Washington n’a guère le choix que d’accepter tout gouvernement capable de faire régner un minimum de stabilité afin que le plan de retrait des troupes américaines soit mené à son terme.
Téhéran se trouve dans une tout autre situation. Après des années de voisinage difficile, d’inimitiés et de guerres avec son voisin de l’ouest, les Iraniens semblent déterminés à utiliser tous leurs moyens pour imposer un gouvernement qui prendrait conseils et directives à Téhéran plutôt qu’à Washington ou à Ryadh. Les Iraniens ne cachent pas leur stratégie : barrer la route du pouvoir à Iyad Allaoui et mettre en place un gouvernement de coalition qui regrouperait les deux courants chiites dirigés par Maliki d’une part, et par Moqtada Sadr et Adel Abdel Mahdi de l’autre, ainsi que le courant kurde bicéphale que dirige le couple Talabani et Barzani.
En d’autres termes, ce que cherche actuellement l’Iran, c’est de voir s’installer au pouvoir à Bagdad une coalition composée de l’Etat de droit de Maliki, de l’Alliance nationale irakienne, elle-même composée du parti de Moqtada Sadr et du Conseil supérieur islamique d’Irak, du parti démocratique du Kurdistan de Barzani et de l’Union patriotique du Kurdistan de Talabani. Si l’Iran réussit à réconcilier tout ce beau monde ensemble, il aura isolé la coalition « Irakia », composée de chiites laïques et de sunnites. Telle est la stratégie que semblent suivre actuellement les dirigeants iraniens. L’accueil à Téhéran le Week-end dernier par Ahmadinejad et Khamenei d’un nombre de responsables politiques irakiens représentant pratiquement tous les courants, sauf celui d’Allaoui, et à la tête desquels se trouvent Jalal talabani et Adel Abdel Mahdi ainsi que des représentants du courant Maliki, prouve la détermination de Téhéran d’imposer un gouvernement allié à Bagdad.
La stratégie iranienne envers l’Irak se trouve consolidée par les ambitions personnelles et la forte envie de s’accrocher au pouvoir de Nouri al-Maliki qui, rappelons-le, avait passé des années exilé en Iran. Maliki n’a pas accepté la victoire de la coalition de Allaoui et a exigé un « recomptage manuel » des résultats. N’ayant pu l’obtenir, il s’est rabattu sur toutes sortes de manœuvres judiciaires dans le but d’empêcher que son rival ne soit chargé constitutionnellement de former un gouvernement.
La constitution irakienne est claire : elle attribue la responsabilité de former un gouvernement au chef de file de la coalition qui récolte le plus de sièges au parlement. Allaoui, avec 91 sièges (contre 89 pour la coalition de son rival), a donc le droit constitutionnel de mettre en place le premier cabinet post-électoral, ou au moins de tenter le premier de réunir une majorité de 163 sièges pour pouvoir gouverner. La manœuvre de Maliki consiste à saisir la justice irakienne pour l’inviter à adopter une autre lecture de la Constitution. Et de fait, une cour de justice irakienne vient d’annoncer que le plus grand bloc au parlement pourrait tout aussi bien être formé après les élections « à travers les négociations », versant ainsi de l’eau au moulin de Nouri al-Maliki et mettant les bâtons dans les roues d’Iyad Allaoui.
Si la manœuvre de Maliki réussit, les sunnites et les chiites laïques ne pourront pas s’empêcher de se considérer comme dépossédés de leur victoire ou au moins de leur chance de tenter de former un gouvernement conformément aux dispositions de la Constitution. Ils ne manqueront pas non plus de voir la main de l’Iran derrière leur écartement forcé du pouvoir. D’après la presse américaine, des personnalités de la coalition « Irakia », y compris Iyad Allaoui et Salah al-Motlaq, sentant la manœuvre venir, ont appelé Washington à l’aide, mais la Maison blanche est restée muette…
Tant qu’il y a de la place à la lutte politique, Allaoui et ses troupes continueront sans doute à clamer leur victoire et à exiger leur chance de tenter de former un gouvernement de coalition. Dans une interview accordée mardi dernier à la BBC, Iyad Allaoui a dénoncé « l’ingérence de l’Iran » et a exprimé sa détermination à défendre ses droits constitutionnels et sa victoire dans les élections du 7 mars dernier. Le problème se posera avec une acuité explosive, si l’on peut dire, quand la coalition « Irakia », qui représente des millions de sunnites et de chiites laïques, se trouvera le dos au mur, ruminant l’amertume et la colère de celui qui est dépossédé de sa victoire électorale et des droits légitimes qui en découlent.

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