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Wednesday, March 03, 2010

Le bulletin de vote et les besoins élémentaires des Irakiens

« Ces dernières années, l'Irak a reçu 300 milliards de dollars, obtenu la suppression d'une partie de sa dette extérieure et reçu un soutien international sans précédent à travers un gouvernement que nous avons appelé le gouvernement d'union nationale. Mais au bout de quatre ans, nous constatons que l'Irak est triste, pauvre et misérable et que sa sécurité et sa souveraineté sont manipulées par d'autres pays. » Ce n’est pas un opposant au pouvoir en place à Bagdad qui parle ainsi, mais le vice-président irakien en personne qui dénonce la « triste » réalité irakienne face à 3000 de ses compatriotes dans la capitale jordanienne.
C’est probablement une première dans les annales de la politique qu’un vice-président en exercice parle en des termes si virulents d’un pouvoir dont il est partie prenante. Mais d’un autre côté, on ne devrait pas s’étonner outre mesure, car Tarek al-Hachémi était en meeting électoral pour exhorter les centaines de milliers d’Irakiens exilés en Jordanie et ailleurs de voter massivement, car, dit-il, « l’heure du changement est arrivée et la décision est entre vos mains. » Pour Tarek al-Hachémi, qui se présente sur la liste du « Bloc irakien », la principale
liste laïque en lice pour le scrutin, il est vital que soit mis fin à « la corruption » et au « confessionnalisme politique » du cabinet de Nouri al-Maliki qui « détruisent l'Etat irakien et ses institutions. »
Le premier ministre Nouri al-Maliki, lui, voit les choses évidemment d’un angle tout à fait différent. Pour lui, le danger qui menace l’Etat irakien c’est plutôt le Baath et les baathistes qui veulent rétablir l’ancien régime. A cet égard, les affiches électorales de la coalition chiite au pouvoir qui fleurissent sur les murs des villes irakiennes sont éloquentes : « Non au retour des baathistes criminels », « Prenez votre revanche sur les baathistes qui vous ont opprimés ». Quant aux affiches qui mettent en avant l’emploi des Irakiens, la rénovation du réseau électrique ou encore la reconstruction des infrastructures détruites, elles ne sont pas légion, si l’on se fie aux reportages sur place faits par la presse internationale.
Le problème avec les élections de dimanche prochain est que la coalition au pouvoir n’a pratiquement aucune réalisation concrète à faire valoir aux yeux des électeurs dont les deux soucis majeurs sont la sécurité et l’emploi, et les partis et les coalitions opposés au gouvernement Maliki n’ont pas les moyens politiques de concevoir un programme électoral crédible qui convaincrait les électeurs qu’ils seront capables de faire mieux que le pouvoir en place. Par conséquent, il y a tout lieu de penser que le comportement électoral sera déterminé par les appartenances confessionnelles plutôt que par des choix politiques lucides et des programmes électoraux, du reste inexistants.
Sept ans après l’invasion, la force occupante se retrouve dans la situation désespérante de souhaiter l’installation d’un pouvoir fort capable de contrôler la situation afin de permettre le retrait des troupes dans les délais fixés par le président Obama. Un proverbe chinois dit peu importe la couleur du chat pourvu qu’il attrape la souris. Il va sans dire que pour les Américains aujourd’hui, l’important ce n’est pas la couleur du pouvoir qui sortira des urnes le 7 mars, mais sa capacité de prendre en charge la responsabilité sécuritaire du pays, car ils n’ont ni le temps ni les moyens d’attendre l’installation à Bagdad d’un pouvoir qui soit à la fois fort, démocratique et laïc, comme ils le souhaitent sans doute vivement, pour retirer leurs troupes.
Les choses se compliquent encore quand on pense aux puissances régionales dont chacune a ses propres intérêts en Irak et sa propre idée de ce que devrait être le pouvoir dans ce pays. A l’est, la puissance régionale la plus avantagée est bien sûr l’Iran qui, comptant sur la loyauté de la forte majorité chiite, poursuit inlassablement depuis 2003 un objectif stratégique qui consiste à installer à Bagdad un pouvoir chiite fort, qui soit à la fois allié de Téhéran et ennemi de Washington.
Au nord, la Turquie a un intérêt évident dans la stabilité et l’intégrité de l’Irak, car pour elle il est hors de question de permettre l’établissement d’un Etat kurde indépendant comme le souhaitent ardemment les Kurdes irakiens qui tentent déjà d’annexer Kirkuk à leur zone d’influence. Son second souci étant de protéger et de promouvoir les intérêts de la minorité turkmène de l’Irak.
A l’ouest, la Syrie n’a aucun intérêt de voir les terroristes traverser dans les deux sens la frontière syro-irakienne dans le but de perpétuer l’état d’instabilité qui semble être l’unique but de leur activisme sanglant. L’intérêt de Damas est plutôt du côté d’un Irak stable, nationaliste et laïc et qui soit mieux disposé envers la Syrie que ne l’était le régime de Saddam Hussein.
Et les besoins élémentaires des Irakiens dans tout ça ? Ils sont à des années lumières des soucis de la puissance occupante et des calculs des voisins immédiats de l’Irak. Ils consistent principalement en un emploi pour vivre décemment et en un peu de sécurité pour se promener sans cette peur au ventre de passer à tout moment à proximité d’un kamikaze. Et ces besoins si simples et si élémentaires ne dépendent malheureusement pas dans l’Irak d’aujourd’hui du seul bulletin de vote.

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