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Monday, February 15, 2010

Le procureur Ocampo en flagrant délit

On se rappelle comment le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Luis Moreno Ocampo, s’est découvert soudain une vocation de défenseur de la veuve et de l’orphelin, comment il a remué ciel et terre pour alerter le monde entier sur le drame du Darfour et comment il a fini par convaincre les juges de la CPI d’inculper le président soudanais, Omar el Béchir, de « crimes de guerre », ce qu’ils ont fait en mars dernier.
Tout en prenant les précautions d’usage que tout accusé est innocent jusqu’à preuve du contraire, on aurait tout de même applaudi ce désir de défendre les opprimés et de traîner les oppresseurs devant les tribunaux internationaux, si ce noble élan était motivé par les principes de justice et d’impartialité et non par la règle des deux poids et deux mesures. Or, on vient de prendre le procureur Luis Moreno Ocampo la main dans le sac, si l’on peut dire, c'est-à-dire en flagrant délit de manipulation des principes de justice et d’impartialité auxquels il préfère visiblement la règle des deux poids et deux mesures dans l’exercice de ses fonctions de procureur de la Cour pénale internationale.
Le 19 janvier 2010, le procureur Ocampo reçoit une plainte du professeur de droit à l’Université de l’Illinois, Francis Boyle, dans laquelle on y lit notamment : « J’ai l’honneur de m’adresser à vous et à la Cour pénale internationale pour porter plainte contre les citoyens américains George W. Bush, Richard Cheney, Donald Rumsfeld, Condoleeza Rice et Alberto Gonzales pour leur politique criminelle et la pratique du ‘’transfert extraordinaire’’ (extraordinary rendition). Ce terme est réellement un euphémisme qui désigne les disparitions forcées de personnes, leur sévère privation de liberté, leur violent abus sexuel et autres actes inhumains perpétrés à l’encontre de ces victimes… ». Le texte intégral de cette plainte peut être consulté sur internet (http://www.bushtothehague.org/2010/01/the-complaint/ ).
Mais tout d’abord qui est le professeur Francis Boyle ? A écouter l’interview qu’il a donnée il y a quelques jours au journaliste américain Scott Horton et diffusée sur une radio américaine, on sent que l’homme est très en colère. Une colère née avec la guerre du Vietnam et exacerbée avec la guerre d’Irak. « 58 000 Américains de ma génération et 2 millions de Vietnamiens sont morts dans la guerre du Vietnam. Et que aucun responsable n’a été inquiété. Henry Kissinger, qui devrait être en prison depuis longtemps, continue de mener une vie normale… » Et le professeur Boyle est tout aussi amer en parlant de la guerre d’Irak.
Mais pourquoi ne s’est-il résolu que cette année à porter plainte contre les responsables du désastre irakien ? Une plainte en rapport direct avec la guerre d’Irak « n’est pas recevable », car, explique-t-il, les Etats-Unis ne sont pas membres de la CPI. C’est pour cela que la plainte concerne « les transferts extraordinaires » avec les kidnappings, les emprisonnements et les tortures qui leur sont liés. Pour le professeur Boyle, cette plainte est recevable, parce que « les transferts extraordinaires » ont été décidés par des Américains, certes, mais ils ont eu lieu dans des pays européens et asiatiques membres de la CPI.
Peut-être la plainte du professeur Boyle n’a pas beaucoup de chance d’être acceptée par la CPI. Peut-être, en rédigeant sa plainte, Francis Boyle ne se faisait pas trop d’illusions sur la recevabilité de sa requête auprès de l’instance pénale internationale. Mais son initiative est importante à plus d’un titre.
D’abord, dans une Amérique qui ne demande des comptes à ses dirigeants que quand ils ont des aventures extraconjugales, il est lénifiant qu’une voix se fasse enfin entendre pour dénoncer des décisions ayant engendré des crimes graves contre d’autres peuples, et surtout de demander que les responsables soient traînés en justice.
Ensuite, cette initiative est un pavé jeté dans la mare de l’impunité américaine qui ne manquera pas de troubler la quiétude des responsables de crimes de guerre américains qui, après avoir détruit la vie de dizaines de millions de personnes, bénéficient d’une retraite dorée au frais du contribuable.
Enfin, l’initiative de Francis Boyle met sans aucun doute dans l’embarras la Cour pénale internationale et son célèbre procureur qui n’ont trouvé aucune difficulté à mettre à l’index un « coupable » de la situation extrêmement complexe du Darfour, mais qui tournent le dos à la situation parfaitement claire de l’Irak, dont les responsables de tant de crimes de guerre sont universellement connus.
Cela fait un mois maintenant que la plainte de Francis Boyle est sur le bureau du procureur Ocampo. Pas la moindre réponse de sa part, et il est peu probable qu’il en parlera publiquement un jour. Il est vrai qu’il est fortement aidé par l’extraordinaire mutisme médiatique que les grands médias américains et européens gardent inexplicablement vis-à-vis de la plainte de Boyle contre Bush et compagnie. Ces médias préfèrent nous parler des « efforts humanitaires » que déploie George W. Bush en faveur de Haïti plutôt que de la plainte de Francis Boyle contre les crimes de guerre de cet ancien président américain.
Mais le procureur Ocampo, s’il peut ignorer la plainte arrivée sur son bureau le 19 janvier 2010, il ne peut échapper à l’accusation de flagrant délit d’utilisation de la règle des deux poids et deux mesures. Car il ne pourra jamais donner une explication convaincante sur son acharnement à chercher à tout prix un coupable pour les crimes du Darfour d’une part, et sur son extraordinaire indifférence vis-à-vis des dizaines de millions de victimes irakiennes d’autre part.

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