airelibre

Wednesday, February 10, 2010

"Vol d'Etat"

Un nouveau rapport sera publié prochainement en Israël. Encore un qui risque de faire du bruit et qui ne manquera pas d’étonner les plus blasés et les plus flegmatiques parmi les observateurs de la scène moyen-orientale. On sait que l’occupation des territoires palestiniens qui se poursuit depuis 43 ans est un vol à grande échelle par la force des biens d’autrui. On sait que ce vol se poursuit jusqu’à ce jour par les mesures d’expropriation décrétées par l’administration militaire israélienne, et par l’expulsion de familles palestiniennes de leurs maisons dans divers quartiers de Jérusalem, dont celui de Cheikh Jarrah, pour y faire habiter des colons.
Mais on vient d’apprendre qu’un autre genre de vol consistant en un détournement massif de fonds aux dépens des travailleurs palestiniens. Il a commencé en 1970 et se poursuit jusqu’à ce jour.
Pendant quarante ans les travailleurs palestiniens ont vendu leur force de travail aux employeurs israéliens. Ils n’avaient pas le choix. Quand on a une famille à nourrir, on doit travailler sans se poser trop de questions. C’est ce que les Palestiniens ont fait et font depuis des décennies, mais cela ne les empêche pas d’exprimer leur opposition et leur hostilité à l’occupation de diverses manières. Durant la première intifadha, déclenchée en décembre 1987, beaucoup d’ouvriers palestiniens travaillaient le matin dans les chantiers de construction des colonies sur les hauteurs de Cisjordanie et manifestaient l’après midi contre l’occupation et la colonisation.
Deux organisations israéliennes de défense des droits de l’homme, l’Alternative Information Centre et Kav La’Oved, s’apprêtent à publier un rapport intitulé « Vol d’Etat », détaillant les divers détournements de fonds dont sont victimes les travailleurs palestiniens depuis 1970 jusqu’à ce jour et qui s’élèvent, d’après les calculs d’économistes israéliens, à 2,25 milliards de dollars.
Selon le rapport, les travailleurs palestiniens perdent le un cinquième de leurs salaires en diverses déductions : retraite, assurance d’incapacité, allocations familiales, fonds de pension et assurance maladie. Mais en pratique, les travailleurs palestiniens ne sont indemnisés qu’en cas d’incapacité résultant d’un accident de travail et dans le cas où leur employeur fait faillite. Où va l’argent ? Au ministère israélien des finances.
D’après la directrice de Kav La’Oved, Hannah Zohar, le ministre israélien des finances a reconnu que l’argent a été utilisé dans la construction d’ « infrastructures » dans le territoires palestiniens, c'est-à-dire clairement dans l’édification des colonies illégales et des routes de contournement pour les colons qui charcutent la Cisjordanie. Donc, si l’on comprend bien, ce ne sont pas seulement les terres palestiniennes qui sont volées, mais aussi la sueur des travailleurs palestiniens qui, sans s’en rendre compte, ont contribué au financement des colonies qu’ils n’ont pas le droit de s’en approcher, et des routes de contournement qu’ils n’ont le droit d’utiliser.
Mais on n’est pas au bout de nos surprises. La centrale syndicale israélienne, la Histadrut, a eu sa part du gâteau. Les travailleurs palestiniens payaient malgré eux une cotisation, bien qu’ils n’eussent pas le droit d’adhérer et encore moins de militer au sein de ce syndicat. Il est vrai que la Histadrut a accepté en 2008 de verser les sommes encaissées illégalement à la centrale syndicale palestinienne. Mais seulement 20% ont été transférés. 30 millions de dollars sont toujours dans les caisses de la Histadrut.
Une autre exigence de la Histadrut à la fois dramatique et cocasse. Il s’agit d’une taxe supplémentaire de 2% imposée à tous les travailleurs palestiniens du secteur du bâtiment pour « la formation » des nouveaux immigrants juifs en provenance de l’ancienne Union soviétique. Obliger les travailleurs palestiniens à contribuer au financement de la formation de ceux qui devraient prendre leur place sur les chantiers, c’est difficile en effet d’être plus cynique.
Cette enquête sur le vol institutionnalisé des travailleurs palestiniens pendant des décennies fait honneur aux organisations israéliennes de défense des droits de l’homme. Elle vient s’ajouter aux autres enquêtes faites régulièrement sur les exactions et les abus de toutes sortes dont sont victimes les Palestiniens de la part de l’armée, de la police et du Shin Beth. Le juge Richard Goldstone lui-même n’aurait pas pu mener à bien son rapport accablant sur la Guerre de Gaza sans les précieux témoignages des organisations israéliennes de défense des droits de l’homme.
Mais ces organisations sont en train de payer le prix de leur courage et de leur intégrité. Elles se plaignent des « campagnes maccarthystes » orchestrées par l’extrême droite. Leurs chefs et leurs porte-parole sont convoqués par le Shin Beth et surveillés par la police.
La porte-parole de l'Association des droits civils en Israël (ACRI), Nirit Moskowitz, s’est confiée à l’Agence France Presse en ces termes : « Nous faisons de plus en plus figure de pestiférés dans le climat qui s'est instauré à la suite de l'offensive à Gaza il y a un an et des protestations internationales qu'elle a provoquées. Nous nous retrouvons accusés de collaboration avec l'ennemi pour avoir fourni des témoignages à la commission Goldstone de l'ONU. »
La réponse officielle du gouvernement israélien a été livrée par l’intermédiaire de l’un de ses représentants, le ministre des affaires stratégiques, Moshé Ayalon : « Ils (les défenseurs des droits de l’homme) sont en train de détruire Israël de l’intérieur. » Une réponse qui prouve encore une fois l’extrême indigence politique et intellectuelle des responsables israéliens qui, n’ayant aucun argument à opposer, s’empressent d’accuser ceux qui les critiquent de vouloir détruire Israël, et mettent dans le même sac Ahmadinejad, le nationalisme palestinien, Richard Goldstone et les organisations israéliennes des droits de l’homme.

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