airelibre

Wednesday, February 24, 2010

Arabique ou persique? On le veut surtou pacifique

Le 5 mai 2008, Google Earth a commis un crime. Il a osé parler de Golfe arabique au lieu de Golfe persique. Branle-bas de combat en Iran où une pétition fut aussitôt rédigée. « Les signataires de cette lettre protestent contre les actions irresponsables et non scientifiques (des administrateurs de Google Earth) et exigent la suppression immédiate et inconditionnelle de l’expression Golfe arabique… ». Les SMS véhiculant le lien internet de la pétition (1) n’arrêtaient pas de circuler et Iraniens et étrangers étaient invités à signer « massivement » la dite pétition.
En novembre dernier, c’était au tour du célèbre magazine National Geographic de blasphémer en remplaçant persique par arabique. Nouveau branle-bas de combat en Iran d’où le magazine et ses journalistes étaient bannis. Une photographe du prestigieux magazine américain, Susan Welchman, a été exclue du jury du festival de la photographie organisé par les Iraniens « parce que le National Geographic a tordu le cou à la vérité et a changé le nom du Golfe persique », expliquait le plus sérieusement du monde la direction du festival dans un communiqué officiel…
Il y a deux ou trois jours, c’est l’Etat iranien lui-même qui est entré dans la danse par la voix de son ministre des routes et du transport, Hamid Bahbahani. L’avertissement du ministre aux compagnies aériennes est sans appel : toute compagnie qui ose utiliser dans ses cartes ou dans ses communiqués l’adjectif arabique au lieu de persique se verra refuser le survol de l’espace aérien iranien. « La première fois », explique le ministre, « la compagnie se verra refuser le survol de l’espace aérien iranien pour une durée d’un mois. Et en cas de récidive, l’appareil sera cloué au sol et le permis de survoler l’Iran annulé », ce qui équivaut à une confiscation pure et simple de l’appareil…
Mais tout d’abord, parlons un peu du Golfe. Ce fameux bras de mer a une superficie de 233000 km², une longueur d’un millier de kilomètres et une largeur de 200 à 300 kilomètres. Les pays riverains sont l’Iran à l’est et l’Iraq, le Koweït, l’Arabie saoudite, le Qatar, Bahrain, les Emirats arabes unis et Oman au nord et à l’ouest. C’est l’une des voies navigables les plus stratégiques au monde dans la mesure où une bonne partie du pétrole consommée dans le monde transite nécessairement par cette mer minuscule, avant d’arriver dans le grand espace maritime de l’océan indien.
La question qui se pose est pourquoi l’Iran, seul pays non arabe du Golfe, se comporte-t-il de manière si passionnée sur un détail futile au point d’exiger, menaces à l’appui, du monde entier, y compris des huit pays arabes riverains, de bannir l’adjectif arabique chaque fois qu’ils parlent du Golfe ? Pourquoi un seul pays riverain se fait-il un point d’honneur de s’approprier cette masse d’eau, excessivement salée du reste, et en déposséder les huit autres pays riverains? Si l’unique argument des Iraniens est que, dès l’origine, ils étaient habitués à l’appellation Golfe persique, les Arabes pourront répondre que pour eux, à l’origine, le bras de mer s’appelait Golfe de Basra, en référence à la ville irakienne située au sud de l’Irak et au nord du Golfe.
En fait l’avertissement du ministre iranien ne s’adresse pas aux compagnies européennes, américaines ou asiatiques. Rares sont celles qui utilisent l’adjectif « arabique » pour désigner le Golfe. Ce sont les compagnies arabes en général, et celles du Golfe en particulier, qui sont visées, puisque ce sont elles qui utilisent dans leurs cartes de vol et leurs communiqués l’expression « Golfe arabique ». Et elles ont raison, car, n’est-ce pas incongru qu’une compagnie arabe comme Gulf Air par exemple, fasse des communiqués du genre « Mesdames et Messieurs, nous vous informons que nous sommes en train de survoler le Golfe persique » !
Il est tout autant difficile de comprendre pourquoi les Iraniens sortent de leurs gonds chaque fois qu’un étranger se « trompe » sur « la bonne qualification » du Golfe que reposant de voir les Arabes indifférents face à l’usage quasi-exclusif du mot « persique » par les médias occidentaux. Il est tout aussi regrettable de voir le National Geographic et ses journalistes bannis d’Iran que remarquable de constater que pas un seul pays arabe n’a jamais critiqué CNN ou BBC World pour l’utilisation exclusive de l’expression « Golfe persique ».
Cela dit, comment ne pas être perplexe quand, avec tous les problèmes intérieurs et extérieurs qu’a l’Iran, on voit ce pays s’accrocher à un détail si insignifiant et le gonfler outre mesure au risque d’accroître la tension dans une région qui n’en manque pas. Car enfin, les pays arabes se tairont-ils si l’un de leurs avions est confisqué à Téhéran parce que le commandant de bord a donné des informations sur le survol du Golfe arabique?
L’Iran qui ne manque pas d’ennemis n’a pas besoin d’en créer d’autres pour des raisons futiles. Les autorités de ce pays sont les premières à savoir que la région du Golfe ressemble beaucoup plus à une poudrière qu’à un havre de paix. En trente ans plusieurs guerres ont ravagé le Golfe, dont la plus atroce est celle qui avait opposé l’Iran de Khomeiny à l’Irak de Saddam entre 1980 et 1988. Et nul ne sait sur quoi va déboucher l’actuel bras de fer nucléaire qui oppose l’Iran aux pays occidentaux.
Quand de si grands problèmes menacent de mettre à nouveau le feu aux poudres dans le Golfe, il y a beaucoup plus important et plus urgent à faire que de discuter du sexe des anges. Alors le Golfe est-il arabique ou persique ? Ce qui nous intéresse est qu’il soit avant tout pacifique.

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(1) http://www.petitiononline.com/sos02082/petition.html

1 Comments:

Blogger . said...

Si Hmida,
Vous avez habitué votre lecteur assidu à nettement mieux.

Si la question de la dénomination du golfe est un détail insignifiant, sic, alors pourquoi les arabes d'aujourd'hui y tiennent à ce point, en dépit de l'histoire et des positions officielles des NU et autres instances reconnues.
Les plus éminents des historiens arabes(ibn kahldoun entre autres)n'ont jamais parlé de golfe arabique, les omeyyades et abbasides avaient fait pareil, les émirats arabes du Golfe utilisaient ce terme dans des accords établis en arabe entre eux.
Détail anodin peut être, mais en creusant un peu on s'aperçoit que ça l'est beaucoup moins; le terme golfe arabe apparait dans les discours de nasser quand l'Iran et l'Égypte rompent leurs relations diplomatiques en 1960 et par la suite lors du congrès du Baas la même année. Il est repris par la suite par ... Saddam. La suite est connue. Le politique n'est jamais loin des ces questions aussi insignifiantes paraissent-elle.
Je pense que vous auriez dû vous en prendre à l'entêtement arabe plutôt qu'aux réactions iraniennes dans cette histoire, un peu excessives, je l'admet.

Je suis totalement d'accord avec vous qu'il faut un golfe pacifique, et pour cela, des provocations en moins, de la part des voisins de l'Iran, ne seraient pas des détails insignifiants, au contraire.

Cordialement,

Malek

11:59 AM  

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