airelibre

Thursday, July 10, 2008

Retour à la case départ?

Quelques jours après les bombardements intensifs américains des montagnes afghanes de Tora Bora, entamés le 7 octobre 2001, le régime obscurantiste était défait et les talibans et leurs alliés d’Al Qaida étaient aux abois à la recherche de la moindre caverne pour échapper aux tapis de bombes lancées à 12000 mètres d’altitude par les bombardiers stratégiques B52.
Personne ne pariait un kopek à l’époque sur la résurrection des talibans ou la survie d’Al Qaida. Mais la myopie politico-stratégique du régime néoconservateur installé à Washington en 2001 a été un pain béni aussi bien pour les talibans que pour les terroristes d’Al Qaida.
En décidant de réorienter la machine politico-militaire américaine en direction de l’Irak, George Bush a à la fois permis aux talibans de reconstruire leurs forces, et Al Qaida de se réorganiser, de recruter de jeunes Arabes par milliers et, il faut bien le dire, de s’allier objectivement aux forces américaines dans une entreprise de désintégration systématique des institutions irakiennes et de destruction de ses infrastructures.
Car, enfin, n’a-t-on pas assisté pendant les années de braise (2004, 2005, 2006) à un acharnement terrifiant contre la vie et les biens des Irakiens par les bombardements impitoyables de l’armée américaine et par les attentats tout aussi impitoyables menées par les kamikazes d’Al Qaida au volant de leurs voitures bourrées d’explosifs ?
Peu importe les motifs invoqués par les uns et les autres, « lutte anti-terroriste » pour les Américains et « lutte contre l’occupant impie » pour Al Qaida, c’est le peuple irakien qui a payé et qui continue de payer la facture en centaines de milliers de morts prématurées et en souffrance insoutenable pour les survivants, sans parler des millions d’exilés, des systèmes de santé et d’éducation détruits. En un mot toute une génération d’Irakiens se trouve condamnée et Dieu sait combien de décennies faudrait-il pour que l’Irak retrouve le niveau de stabilité, de sécurité et de développement qu’il a connu du temps de Saddam Hussein.
Le 3 juillet dernier, dans une déclaration à l’agence Bloomberg, Mme Condoleezza Rice a parlé de la « fierté » qu’elle éprouve de la décision de son pays d’envahir l’Irak. Elle n’a pas donné des détails sur les motifs de cette étrange fierté, mais on peut lui poser quelques questions. Cette « fierté » découle-t-elle de la destruction d’un pays qui n’a fait aucun mal aux Américains ? De la condamnation de toute une génération d’Irakiens au désoeuvrement et à l’errance ? De la protection par les tanks du seul ministère irakien du pétrole au moment où l’armée américaine contemplait sans broncher le pillage des musées, des universités et des hôpitaux, pillage qu’un certain Donald Rumsfeld qualifiait de « liberté » ? Des événements honteux d’Abou Ghraib ? Et la liste est longue.
En fait quand on scrute la politique irakienne et afghane de la Maison blanche, et contrairement à ce que prétend Mme Rice, il y a peu de motifs de fierté et plein de motifs d’inquiétude. On sait que ce qui intéresse les Américains ce sont leurs propres intérêts et on sait aussi que les dommages incommensurables qu’ils ont fait subir gratuitement aux Irakiens ne les empêchent pas de dormir. Il se trouve que leur guerre injustifiée contre l’Irak a fait aussi subir des dégâts immenses aux intérêts stratégiques américains. Dans l’histoire de la politique étrangère américaine, aucune décision n’a fait subir autant de dégâts aux intérêts américains que celle de George Bush d’envahir l’Irak.
Que Mme Rice enfonce sa tête dans le sable pour ne pas voir la triste réalité et parle de fierté, ne change pas grand-chose à la nouvelle réalité désastreuse pour les intérêts américains. Cette nouvelle réalité, que le régime de George Bush l’admette ou non, est que l’Iran est plus fort aujourd’hui qu’en 2003 et que l’Irak, en dépit des centaines de milliards de dollars pris au contribuable américain et gaspillés dans les sables mouvants mésopotamiens, est perdu à jamais pour les Etats-Unis. Même si, comme le suggère le candidat McCain, l’armée américaine y restera cent ans encore.
La raison est simple. Une armée aussi puissante soit-elle qui guerroie dans un environnement hostile à 10.000 kilomètres de chez elle ne peut pas l’emporter. A fortiori quand cette armée renforce involontairement son pire ennemi de la région, l’Iran, et retourne contre elle la quasi-totalité de la population irakienne par le mépris et l’arrogance dont elle a fait preuve dès son arrivée en Irak, par le peu de respect pour la vie de ses habitants, par les humiliations infligées aux familles irakiennes dont les domiciles sont brutalement violés au milieu de la nuit et, encore une fois, la liste est longue.
Même, les « bonnes » nouvelles en provenance de l’Irak (baisse notable de la violence et du nombre des victimes) sont occultées par les « mauvaises » nouvelles en provenance de l’Afghanistan où, comme le note le New York Times dans un éditorial de son édition du 7 juillet, « 46 soldats des forces américaines et alliées sont morts au mois de juin en Afghanistan, le nombre le plus élevé depuis l’invasion de ce pays en 2001. Et pour le second mois consécutif, le nombre de soldats morts au combat en Afghanistan dépasse le nombre des soldats américains morts en Irak. » Cette nouvelle est terrifiante pour le régime de George Bush qui cherche toujours désespérément une petite bonne nouvelle à se mettre sous la dent avant de quitter le pouvoir le 20 janvier prochain. Maintenant que « la guerre de choix » contre l’Irak fait moins de victimes que « la guerre de nécessité » contre l’Afghanistan à laquelle Bush a tourné le dos en 2003, l’armée américaine devrait peut-être faire le chemin inverse, de l’Irak vers l’Afghanistan, pour se retrouver au point de départ. Entre temps, l’Irak a été détruit, les intérêts stratégiques américains en lambeaux, et l’Afghanistan plus dangereux que jamais aussi bien pour ses habitants que pour les troupes étrangères.

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