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Monday, September 10, 2012

Histoire de monstres à détruire

Osons une évidence : si les trillions de dollars dépensés jusqu’ici par les Etats-Unis dans la « guerre contre terrorisme » étaient investis dans les régions pauvres et utilisés dans l’amélioration des conditions de vie des gens, notre planète ne se serait certes pas transformée en paradis, mais tout au moins en un endroit où il ferait bon vivre. Le problème de base est que la politique étrangère américaine n’a jamais été intéressée par la recherche de régions à développer, mais de monstres à détruire. Pourtant, le secrétaire d’Etat, John Quincy Adams, avait mis en garde son pays il y a déjà près de deux siècles, le 4 juillet 1821 exactement, en ces termes : « l’Amérique ne s’venture pas à l’étranger en quête de monstres à détruire. Elle souhaite la liberté et l’indépendance de tous ; elle n’est le champion que de la sienne propre. Elle recommandera la cause générale par le caractère soutenu de sa voix et la douce sympathie de son exemple. Elle sait bien que si jamais elle se rangeait, ne serait-ce qu’une fois sous d’autres bannières que la sienne, fussent-elles celles de l’indépendance d’autres peuples, elle s’impliquerait sans pouvoir s’en extraire dans toutes les guerres d’intérêt et d’intrigue, d’avarice individuelle, d’envie et d’ambition, qui adopteraient les couleurs et usurperaient l’étendard de la liberté. Elle pourrait devenir le dictateur du monde. Elle ne serait plus maitresse de son propre esprit. » En relisant ce passage du discours prononcé par John Quincy Adams à l’occasion du 45e anniversaire de l’indépendance des Etats-Unis, on ne peut s’empêcher de penser que l’homme était habité par l’appréhension que son pays développe une politique étrangère désastreuse pour ses intérêts. Alors que la jeune république américaine n’avait que 45 ans et était fragile, pauvre et peu développée, le secrétaire d’Etat Quincy Adams portait en lui le pressentiment étrange que son pays risquait de s’aventurer à l’étranger « en quête de monstres à détruire ». Sa peur était réelle que son pays s’engageât un jour « sans pouvoir s’en extraire dans toutes les guerres d’intérêt et d’intrigue ». Force est de constater que les appréhensions et les peurs de Quincy Adams étaient fondées. Si l’on passe en revue les guerres menées par les Etats-Unis au cours de sa courte histoire, on sera forcé de reconnaître que les deux guerres les plus désastreuses sont celles du Vietnam et d’Irak. Ces deux guerres sont l’exemple type décrit par Quincy Adams avec concision et précision « guerres d’intrigues et d’intérêt » sous le prétexte de « monstres à détruire ». Elles sont l’exemple type contre lequel le brillant secrétaire d’Etat avait mis l’Amérique en garde de peur qu’elle ne s’y implique « sans pouvoir s’en extraire ». De fait, sa défaite humiliante au Vietnam n’a pas aidé l’Amérique à s’extraire aussitôt du bourbier qu’elle s’est créé. Le traumatisme qui a sonné le pays n’a pas encore entièrement disparu plus de 27 ans après la chute de Saigon. Quant à l’Irak, il est encore trop tôt pour évaluer l’ampleur du désastre provoqué par l’administration de George W. Bush et juger avec le recul nécessaire ses conséquences dévastatrices. L’histoire n’a pas encore dit son dernier mot dans le drame biblique irakien. Mais il y a une chose que ni Quincy Adams ni personne dans ce monde ne pouvait prévoir tellement elle dépasse les imaginations les plus fertiles. C’est ainsi que personne n’avait eu l’idée de mettre l’Amérique en garde contre la tentation de créer des monstres pour se trouver ensuite dans l’obligation de les détruire en s’engageant dans des guerres coûteuses en vies humaines et en argent. La nébuleuse terroriste d’Al Qaida est l’exemple type de monstre créé par les Etats-Unis dans les années 1980 avant de se retrouver vingt ans plus tard engagés dans une guerre sans merci contre leur propre créature. Il serait utile de rappeler ici brièvement les faits. Le 30 avril 1975, Saigon tombe et les Etats Unis quittent le Vietnam dans la confusion et l’humiliation. Le 28 décembre 1979, l’Union soviétique est attirée vers le « piège afghan » par les Etats Unis qui ont œuvré auparavant à offrir aux Soviétiques « leur propre Vietnam ». Comment ? En armant les Jihadistes contre le régime pro-soviétique de Babrak Karmal en Afghanistan, multipliant les provocations et provoquant la réaction suicidaire de l’Union soviétique de l’hiver 1979. Il ne s’agit pas ici de supputations ni d’élucubrations, mais d’informations données par l’un des principaux architectes du « piège afghan », Zbignew Brzezinski, l’ancien conseiller à la sécurité nationale de Jimmy Carter, chef de la Maison Blanche du 20 janvier 1976 au 19 janvier 1980. Dans une interview accordée au « Nouvel Observateur » daté du 15-21 janvier 1998, Brzezinski avait étonné le monde par sa franchise en affirmant que « c’est le 3 juillet 1979 (six mois avant l’intervention soviétique en Afghanistan) que le président Carter a signé la première directive sur l’assistance clandestine aux opposants du régime prosoviétique de Kaboul. Et ce jour-là j’ai écrit une note au président dans laquelle je lui expliquais qu’à mon avis cette aide allait entraîner une intervention militaire des Soviétiques. (...) Nous n’avons pas poussé les Russes à intervenir, mais nous avons sciemment augmenté la probabilité qu’ils le fassent. » On se rappelle à l’époque que les Soviétiques avaient justifié leur intervention en affirmant qu’ils entendaient lutter contre une ingérence secrète des États-Unis. Rares étaient ceux en Occident qui les avaient crus à l’époque. A la question du « Nouvel Observateur » s’il ne regrettait pas un peu ce qu’il avait fait, Brzezinski semblait étonné de la question. Sa réponse était : « Regretter quoi ? Cette opération secrète était une excellente idée. Elle a eu pour effet d’attirer les Russes dans le piège afghan et vous voulez que je le regrette ? Le jour où les Soviétiques ont officiellement franchi la frontière, j’ai écrit au président Carter, en substance : « Nous avons maintenant l’occasion de donner à l’URSS sa guerre du Vietnam ». M. Brzezinski ne regrette pas non plus d’avoir favorisé l’intégrisme islamiste, d’avoir donné des armes et des conseils à de futurs terroristes ? Sa réponse est d’une franchise glaciale : « Qu’est-ce qui est le plus important au regard de l’histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l’empire soviétique ? Quelques excités islamistes ou la libération de l’Europe centrale et la fin de la Guerre froide ? » Près d’un tiers de siècle après la signature de la directive de Carter sur l’assistance clandestine au « Jihad » en Afghanistan, les choses ont évolué de telle manière que le terrorisme est devenu la principale plaie du monde. Des attentats de New York le 11 septembre 2001 à ceux de Madrid, Londres, Rabat, Djerba, en passant par les événements sanglants de Slimane et Bir Ali Ben Khlifa, les milliers d’actions terroristes qui ont ensanglanté le monde pendant le dernier quart de siècle s’inscrivent toutes dans la stratégie désastreuse mise en place par l’administration Carter. Il y a certes la guerre d’Irak de 2003 qui a donné un souffle nouveau au terrorisme d’Al Qaida, mais la responsabilité première est assumée par Jimmy Carter et ses conseillers. L’ancien président « marchand de cacahouètes » semble trainer un complexe de culpabilité qu’il a visiblement du mal à s’en accommoder. Sa reconversion en « ambassadeur de la paix » et en « intermédiaire bienveillant » dans les grandes crises lui permet de sillonner le monde en dépit de son âge avancé. Le but étant d’apaiser les crises qui déchirent les divers continents, mais aussi sa conscience qui a de sérieuses raisons de se sentir perturbée quand elle fait le lien entre la directive du 3 juillet 1979 et l’explosion du terrorisme jihadiste.

1 Comments:

Blogger Marianne said...

Merci pour ces éclaircissements historiques extrèmement intéressants !

4:39 PM  

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