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Saturday, September 29, 2012

Chourou et Dilou appartiennent-ils au même parti?

L’interview accordée récemment à « L’Express » par Samir Dilou, porte-parole du gouvernement et ministre des droits de l’homme et de la justice transitionnelle, est étonnante à plus d’un titre*. Les réponses aux questions de l’hebdomadaire français que nous avons eu la surprise de lire, auraient pu être données par Beji Caid essebsi, Nejib Chebbi, Ahmed Ibrahim ou n’importe quelle autre figure de l’opposition : « Laxisme face aux salafistes », « Les poursuites engagées contre les artistes entachent l'image de la Tunisie et de sa révolution », « La notion de "complémentarité" est un non-sens », « Nos élus feraient mieux de s'occuper des vraies questions au lieu de perdre leur temps à argumenter sur la protection du sacré ou la complémentarité entre les sexes. Ils ont pour mission de rédiger une constitution qui garantisse les droits et les libertés et nous fournisse un socle sur lequel construire un Etat civil et démocratique », « Les Tunisiens ont fait la révolution pour conquérir la liberté, pas pour changer de mode de vie », et, concernant le Niqab, « Le visage n'est pas seulement une partie du corps, il reflète la personnalité, les sentiments. Un professeur a besoin de savoir comment son enseignement est reçu, comment réagit son élève »… Voici donc les principales idées exprimées par un responsable du gouvernement et membre du mouvement Ennahdha dont certains membres devraient être horrifiés à la lecture des réponses de l’un d’entre eux aux questions posées par l’hebdomadaire français. Car enfin, quand on entend parler Sadok Chourou ou Habib Ellouze d’une part et Samir Dilou d’autre part, on a du mal à croire qu’ils appartiennent tous au même parti, qu’ils ont les mêmes références et qu’ils défendent le même projet de Constitution ou le même programme de gouvernement. Alors des deux choses l’une : ou bien on est en présence d’un nouveau cas de double langage et d’une nouvelle tromperie de la part d’un parti soucieux de soigner à l’étranger une image fortement ternie par les événements tragiques du 14 septembre dernier ; ou bien on assiste à de profondes divisions au sein du parti islamiste entre ceux que le passé et les traditions attirent et ceux que l’avenir et la modernité interpellent. La première hypothèse ne résiste pas à l’analyse. Les cadres d’Ennahdha, et en particulier son président, sont passés maîtres dans l’art du double langage, certes. Mais, comme chacun sait, on peut tromper quelques uns quelque temps, mais on ne peut pas tromper tout le monde tout le temps. D’après les derniers sondages d’opinion, Ennahdha a perdu le tiers de sa base électorale, et la duplicité et le double langage dont elle a usé et abusé y sont sans doute pour quelque chose dans l’impopularité croissante du parti islamiste. Il est donc peu probable que Samir Dilou, l’un des pus ouverts parmi les dirigeants de ce parti, continuera à utiliser la stratégie du double langage. La seconde hypothèse est donc plus crédible et nous pousse à penser que ce qu’a dit Samir Dilou à l’hebdomadaire français, il le pense réellement, ce qui le met en porte-à-faux avec l’aile conservatrice du parti qui n’arrive toujours pas à se débarrasser de son fanatisme et de son obscurantisme. Comment peut-il en être autrement quand on entend les représentants de cette aile préconiser l’amputation asymétrique des membres inférieurs et supérieurs pour quiconque bloque une route, défendre bec et ongles la Charia dans la Constitution, vouloir coûte que coûte criminaliser « l’atteinte au sacré » ou encore convaincre le peuple qu’il a été à côté de la plaque pendant de très longues décennies, car, jurent-ils, la femme n’a jamais été et ne pourra jamais être l’égale de l’homme, mais seulement son complément … Les réunions des dirigeants nahdhaouis ne sont pas publiques. On ne peut donc pas juger de l’ampleur des divisions qui déchirent le parti islamiste, même si l’on a une idée à peu près exacte de l’emplacement des lignes de fracture. Quand on entend parler les extrêmes de ce parti, symbolisés par Chourou et Dilou, il n’est pas difficile de conclure que les clivages qui traversent Ennahdha sont sérieux et peuvent même menacer l’unité de ce parti et son intégrité. Une étude minutieuse des idées exprimées par Dilou et Chourou fait apparaitre deux projets de sociétés non pas différents, mais carrément contradictoires. Les idées du premier impliquent une démocratie ; celles du second une dictature théocratique. Les idées du premier, si elles s’imposaient, engendreraient un système de gouvernement semblable à la Turquie d’aujourd’hui ; celles du second un système semblable à l’Arabie saoudite, au soudan ou à toute autre dictature qui écrase le peuple et étouffe toute espèce de liberté au nom de la Charia. La question qui se pose est que comment ces deux ailes si opposées et si contradictoires peuvent encore coexister au sein d’une même structure politique ? Un jour viendra où cette contradiction deviendra intenable et, en cas d’intransigeance de la part des passéistes et des modernistes, la rupture sera inévitable. Les premiers rejoindraient les salafistes et les seconds créeraient leur propre parti ou rejoindraient l’un des partis existants. Après tout nous sommes tous musulmans et rien ne dit que Rached Ghannouchi est plus musulman que Béji Caid Essebsi ou Ahmed Néjib Chebbi, ou qu’il les devancera au paradis, n’en déplaise aux démagogues d’Ennahdha qui ont conçu une de leurs pancartes en ces termes : « les portes du paradis sont ouvertes, entrez-y » ! Un message douteux à l’intention des naïfs et des simples d’esprit à qui l’on suggère insidieusement l’idée saugrenue que le paradis est ouvert seulement à ceux qui adhèrent aux idées d’Ennahdha et votent pour ses candidats. Et le président d’Ennahdha dans tout ça ? Il est empêtré dans les contradictions de son double langage et tiraillé entre les salafistes qui lui rappellent sa jeunesse et les engagements qu’il a pris publiquement dans sa vieillesse d’aider à construire un Etat de droit où la justice est indépendante et la presse est libre. Aux dernières nouvelles sa popularité est au plus bas, pas seulement parmi ses adversaires, mais aussi parmi ses partisans qui lui font assumer la responsabilité du désastre du 14 septembre. Selon le journal « Al Maghreb », Rached Ghannouchi a ordonné au ministre de l’Intérieur de ne pas s’opposer aux hordes de salafistes qui prenaient le chemin de l’ambassade des Etats-Unis en ce vendredi noir 14 septembre 2012. Le ministère de l’Intérieur a démenti et « Al Maghreb » a démenti le démenti, précisant que ses sources sont au dessus de tout soupçon. Ou se trouve la vérité ? Un jour peut-être nous le saurons. ------------------------------------------------- *http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/tunisie-nous-avons-commis-des-erreurs_1162293.html?xtmc=Interview_Samir_Dilou&xtcr=1

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