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Wednesday, May 12, 2010

Reportage: X- Mao, l'éternel

Il faut se lever tôt pour pouvoir entrer dans le mausolée du président Mao Zedong et voir son corps embaumé. Il faut se lever tôt au vrai sens du terme, car les files d’attente qui se forment de bonne heure sont très longues et le temps de visite est très court. Ce sont très probablement les seules files d’attente au monde qui se mesurent non pas en mètre mais en kilomètre.
La bâtisse est imposante. Situé dans la partie sud de la Place Tienanmen, le mémorial est érigé sur un terrain de près de 60.000 mètres carrés. Le premier coup de pioche était donné en novembre 1976 (deux mois après la mort de Mao) et la cérémonie d’inauguration s’était tenue en septembre 1977, un temps record quand on voit la complexité et l’étendue de cet immense ouvrage architecturel, soutenu par 44 colonnes de granite.
Le granite, le marbre, la porcelaine, le ciment, les pierres, les briques et tous les autres matériaux de construction ont été fournis par les différentes provinces chinoises, une manière pour elles de témoigner leur reconnaissance au « grand timonier » pour les services rendus à la patrie. Le peuple a lui aussi exprimé à sa manière sa reconnaissance à son leader : 700.000 ouvriers de toutes les provinces chinoises avaient participé symboliquement et à tour de rôle à l’édification du mémorial du président Mao.
Pourtant de son vivant, il n’avait rien demandé. Mao avait plutôt exprimé le désir de se faire incinérer, mais la disparition d’un chef charismatique et historique est toujours difficile à accepter par ses compagnons.
En ce 9 septembre 1976, le jour où Mao avait disparu, les membres du bureau politique du parti communiste chinois n’étaient sûrement pas dans un état d’esprit qui leur permettait d’accepter la disparition de celui qui était devenu alors le symbole de la Chine nouvelle. La décision de l’embaumer et de le conserver dans un mémorial était dictée sans doute par la volonté de s’opposer à la fatalité de la mort et par le désir d’éterniser le chef, de le maintenir présent non seulement par l’esprit, mais par le corps aussi. Après tout, les camarades de Lénine l’avaient fait. Pourquoi pas les camarades de Mao ?
La file avançait lentement. A vue d’œil, il y avait encore au moins 300 mètres à faire avant d’arriver au mémorial. Il fallait évaluer la distance qui restait à parcourir et si elle pouvait être franchie avant midi. De l’endroit où ils étaient, deux citoyens chinois n’avaient aucune chance d’arriver avant la fermeture des portes à midi. Ils avaient tenté, le plus discrètement possible, de gagner quelques centaines de mètres. Vigilants, deux gardiens en uniforme les avaient interpellés et les avaient remis dans leurs places initiales. Ils avaient préféré partir.
« Il est difficile de trouver un endroit au monde plus visité que le mémorial du président Mao », affirme Hu Yuxiang, qui étudie l’arabe dans un Institut de langue à Pékin, et qui a bien voulu nous accompagner au mémorial. « Qu’il fasse beau ou mauvais, qu’il pleuve ou qu’il vente, les files pour voir le président Mao sont toujours longues. »
Mais pourquoi tant d’engouement pour un homme disparu depuis plus d’un tiers de siècle et que la majorité de ceux qui font la queue pour le voir n’étaient pas encore nés en 1976, l’année de sa mort ?
Selon Hu Yuxiang, « la majorité du peuple chinois est reconnaissante pour Mao d’avoir remis la Chine sur ses pieds, après avoir été à genoux par une longue série d’attaques et d’agressions étrangères. Pour ces dizaines de milliers de personnes devant nous et derrière nous, le président Mao est non seulement un symbole, mais aussi l’architecte de la Chine nouvelle sans lequel le pays ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui, c'est-à-dire la deuxième puissance du monde. Et donc ces milliers de personnes que vous voyez et qui font si patiemment la queue, elles ne viennent pas ici par curiosité de voir le corps embaumé d’un vieil homme, mais par devoir de s’incliner devant un héros national et de payer tribut à celui qui a révolutionné la vie de leurs parents et la leur. »
Avant de monter les escaliers menant au mémorial, il fallait passer par le détecteur de métaux et par la fouille corporelle. Nul ne peut entrer s’il a sur lui un briquet, des allumettes, un téléphone portable, un appareil photo ou un objet tranchant ou métallique.
Dans le hall, des tas de bouquets de fleurs sont à la disposition de ceux qui veulent en acheter et en déposer devant l’imposante œuvre d’art en marbre blanc, haute de 3,45 mètres et représentant un Mao assis sur un fauteuil, les jambes croisés. Quatre citoyens chinois, après avoir déposés leurs bouquets de fleurs, se sont mis à genoux et se sont prosternés à quatre reprises devant leur idole en chuchotant des prières, avant de reprendre leur place dans la file.
A proximité du sarcophage, le silence absolu est exigé. Des gardiens sont là pour inciter, par des gestes de la main, les visiteurs à presser le pas. Aucun arrêt n’est toléré. La tombe de cristal repose sur une plateforme en granite noir. Mao, étendu, vêtu d’un costume vert-de-gris et enveloppé du drapeau rouge, visage émacié, yeux et bouche fermés, dort d’un sommeil paisible. On se recueille devant le corps embaumé du père de la révolution chinoise tout en marchant. On comprend pourquoi la file avance vite et que des dizaines de milliers de personnes peuvent entrer chaque jour au mémorial.
En suivant l’itinéraire tracé, on se retrouve dans un magasin de souvenirs. Tout est à l’effigie du « grand timonier », cela va de soi.
Au premier étage du mémorial se trouvent des « chambres de souvenirs individuels » dédiés à la mémoire de Mao Zedong, Chou Enlai, Liu Shaoqi, Zhu De, Deng Xiaoping et Chen Yun. Dans chaque chambre, il y a un buste en marbre blanc du chef en question. Le mur est tapissé de toutes sortes de documents personnels, de photos de jeunesse, en famille, entourés d’amis ou de compagnons de route, et même, dans le cas de Zhu De, un uniforme militaire et quelques médailles attestant ses faits d’armes.
A midi pile, les portes se ferment. Les milliers qui n’ont pu entrer ne manifestent ni déception ni colère. Ils rompent les rangs et tenteront leur chance le lendemain. A moins qu’on soit un 26 décembre (jour de la naissance de Mao) ou un 9 septembre (jour de sa mort), les files restent alors en place, car les portes rouvriront à 14 heures. Ce sont les deux seules journées de l’année où le mémorial est ouvert matin et après midi.
Six jours par semaine, de mardi à dimanche, des dizaines de milliers de Pékinois, de Provinciaux et d’étrangers défilent chaque jour devant le corps embaumé d’un vieil homme qui dort du sommeil du juste, le visage serein de celui qui a accompli consciencieusement son devoir envers sa patrie et envers son peuple.

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