Traiter les racines plutôt que les branches de l'arbre maléfique
Deux scènes sanglantes au mois de novembre dernier démontrent le degré d’horreur que le terrorisme est capable d’atteindre. Un berger tunisien de 16 ans a été décapité, sa tête mise dans sachet en plastique et confiée sous la menace à son cousin qui l’accompagnait pour qu’il la donne à la famille. Celle-ci l’a mise dans le frigidaire en attendant de retrouver le corps… L’une des scènes les plus horribles du carnage de Paris du vendredi 13 août est décrite dans ce témoignage d’un survivant de l’attaque contre le Bataclan où les terroristes ont pris un millier de d’otages et en ont massacré une centaine : « Mon voisin a reçu une balle en plein visage. Des bouts de sa chair et des jets de son sang ont recouvert mes lunettes… » Maintenant que le terrorisme a atteint des niveaux vertigineux dans l’horreur ; maintenant qu’aucun pays au monde n’est à l’abri du terrorisme ; maintenant que ni les avions, ni les trains ni les terrasses de café ne sont plus des lieux sûrs pour voyager ou pour se détendre, la question brûlante qui se pose est cette même question éternelle que les humains se sont toujours posés en temps de crise : que faire ? Aucun problème ne peut être résolu si on ne le traite pas à la racine. Aucun problème ne peut être résolu si on ne reconnaît pas les fautes et les erreurs qui l’ont fait naître. A fortiori quand ces fautes et ces erreurs ont engendré non pas un problème, mais un fléau dévastateur qui sème la panique dans les quatre coins du monde. Si la troïka avait pris au sérieux les mises en garde contre les menaces naissantes du terrorisme dans les montagnes tunisiennes et avait agi en conséquence, la Tunisie ne se serait pas trouvée dans cet état tragique sans précédent dans son histoire moderne. Si la France n’avait pas suivi une politique d’interférence agressive en Libye avec les conséquences que l’on sait, si elle n’avait pas diabolisé Bachar al Assad et soutenu sans restriction ses ennemis, Paris n’aurait très probablement pas vécu l’horreur du 13 Novembre. Et l’on pourrait multiplier les exemples de fautes et d’erreurs de jugement commis par plusieurs pays petits et grands et qui ont contribué à l’émergence de cette monstruosité appelée Daech et dont l’origine se trouve dans l’erreur fatale commise par l’ancien président américain George W. Bush et son compère, l’ancien Premier ministre britannique, Tony Blair. Dans le monde politique, tout comme dans le monde physique, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Revenons à la période 1969-1973. Pendant ces quatre années, le couple Nixon-Kissinger envoyait les B52 avec leurs « tapis de bombes » bombarder le Cambodge, l’un des pays les plus pauvres et les plus arriérés du monde. Et quand il n’y avait plus rien à détruire, ils bombardaient de nouveau les ruines et ceux qui y étaient ensevelis. Ce « crime épique contre l’humanité », comme l’a qualifié le journaliste américain John Pilger, a enfanté un monstre : Pol Pot et ses Khmers rouges. On sait ce que ce monstre a fait du Cambodge et des Cambodgiens… Quatre décennies plus tard, en 2003, Bush et Blair engagèrent leur pays dans une guerre contre un pays déjà à genoux par 11 années de sanctions. Un autre crime épique contre l’humanité est commis, enfantant un autre monstre : l’ « Etat islamique » et ses hordes de terroristes. Le premier monstre enfanté par la politique désastreuse du tandem Nixon-Kissinger n’avait sévi que contre son propre peuple, massacrant les Cambodgiens par milliers et les déplaçant par millions des villes vers les campagnes. Les monstruosités des Khmers rouges n’avaient pas duré longtemps, et ce grâce à l’intervention de l’armée vietnamienne qui avait mis en déroute Pol Pot et ses hommes. Le second monstre enfanté par la politique désastreuse du tandem Bush-Blair est beaucoup plus problématique. L’ « Etat islamique » a bénéficié d’un certain nombre de facteurs favorables qui lui ont permis de se développer de manière aussi rapide que surprenante. Il y a tout d’abord le soutien actif et multiforme que lui apportaient certains pays de la région, et en particulier l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, chacun d’eux tentant de l’instrumentaliser et de le mettre au service de son propre agenda. L’ « Etat islamique » a bénéficié ensuite de l’indulgence, pour ne pas dire plus, de grandes puissances (Etats-Unis, Grande Bretagne, France) pour qui le mal, tout le mal ne venait que d’un seul côté : le régime syrien et son président. Last but not least, l’organisation terroriste a bénéficié de l’immense frustration générée par les politiques occidentale et israélienne parmi une bonne partie de la jeunesse arabo-musulmane, ce qui lui a permis d’attirer facilement dans son piège des milliers de jeunes paumés, frustrés ou révoltés à travers les réseaux sociaux, les mosquées tenus par les extrémistes fanatiques et les chaînes satellitaires wahhabites. Il est regrettable que l’ unanimité qui se confirme de jour en jour entre les grandes puissances sur la nécessité de combattre avant tout Daech n’a été possible ni quand l’Irak était dépecé par l’organisation terroriste, ni quand la Syrie était mise à feu et à sang, ni quand la terreur daéchienne déferlait sur la Libye, ni quand la Tunisie était endeuillée par les attaques de Sousse et du Bardo. L’Occident n’a aligné ses positions sur celles de la Russie et de l’Iran qu’après les terribles attaques contre les citoyens français à Paris… Mieux vaut tard que jamais, comme on dit, et on ne peut qu’être soulagé à l’idée que toutes les grandes puissances sont maintenant d’accord pour coopérer et coordonner leurs actions dans cette guerre sans merci contre l’hydre terroriste. Mais si cette unanimité, cette coopération et cette coordination internationales sont nécessaires, elles sont insuffisantes pour mettre le terrorisme hors d’état de nuire. Car, tous les spécialistes, tous les experts et tous les stratèges vous diront que toutes les bombes du monde ne pourront pas détruire une idéologie, si on néglige les causes qui l’ont fait naître. La première cause à traiter se trouve en Arabie saoudite. Tant que ce pays continue impunément à utiliser massivement l’argent du pétrole pour diffuser hors de ses frontières sa version de l’islam wahhabite takfiriste, il y aura toujours des écervelés qui chercheront à s’assurer une place au paradis en tuant les « impies » et les « ennemis de l’islam ». La deuxième cause à traiter se trouve dans la politique étrangère des grandes puissances, et en particulier des Etats-Unis. Il faut que ces pays arrêtent de produire des monstres, comme ils l’ont fait au Cambodge dans les années 1970 (Pol Pot et les Khmers rouges), en Afghanistan dans les années 1980 (Ben Laden et Al Qaida), en Irak dans les années 2000 (Zarkaoui et Al Qaida en Mésopotamie) et en Syrie et en Libye dans les années 2010 (Abou Bakr Al Baghdadi et Daech). L’histoire démontre que chaque fois qu’une grande puissance décide de « libérer » un peuple ou de faire son bonheur à coups de bombes, elle enfante un monstre. La troisième cause à traiter se trouve en Israël. Tant que l’Occident continue de regarder ailleurs, tout en laissant ce pays poursuivre en toute liberté sa politique agressive et colonialiste, comme il le fait depuis un demi-siècle, les sentiments d’injustice et de frustration de plus en plus grands seront toujours un pain béni pour le terrorisme. Enfin, la quatrième cause sur laquelle le terrorisme surfe avec une extraordinaire aisance est le fossé de plus en plus béant entre l’opulence au nord et la misère au sud de la planète. La sécurité du monde dépend de l’attitude à prendre face à ces quatre sources principales qui alimentent l’arbre maléfique.