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Saturday, August 22, 2015

Le président fauteur de troubles

Demain dimanche 23 août est le dernier délai donné par la Constitution au parti islamiste turc AKP pour former un gouvernement à la suite des élections législatives du 7 juin 2015. Rappelons que les résultats de ces élections ont été catastrophiques pour Erdogan et son parti qui misaient sur …75% des voix et n’ont eu que 40%. La mort dans l’âme, le président turc chargea son Premier ministre Ahmet Davutoglu de tenter de former un gouvernement de coalition. Pour ce faire, il n’avait d’autre choix que de convaincre l’un des trois partis d’opposition, le parti républicain du peuple (132 sièges), le parti d’action nationaliste (80 sièges) ou le parti démocratique des peuples (80 sièges) de se joindre au parti islamiste pour gouverner ensemble. La mission du Premier ministre turc était de l’ordre de l’impossible quand on sait l’ampleur des divergences qui séparent les trois partis d’opposition avec le parti islamiste. Alors qu’Ahmet Davutoglu était en pleine négociations, le président turc n’a pas hésité à accuser le parti démocratique des peuples (pro-kurde) de « trahison », allant jusqu’à demander la levée de l’immunité des 80 parlementaires fraichement élus pour leur soutien aux « terroristes » du PKK… Avec du recul, on peut dire sans grand risque d’erreur que dès l’annonce des résultats des législatives du 7 juin dernier, Erdogan avait opté pour de nouvelles élections plutôt que pour un gouvernement de coalition qui mettrait un terme au monopole du pouvoir auquel l’AKP s’est habitué depuis 2002. Croyant que dans un pays en guerre les citoyens voteraient automatiquement pour le gouvernement qui les défend contre l’ « ennemi », Erdogan provoque une grave crise avec les Kurdes de son pays et décide d’entrer en guerre contre le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) sans qu’il y ait le moindre casus belli. La trêve décidée en 2013 entre le PKK et le gouvernement turc n’a pas été violée par les Kurdes, mais par Erdogan en personne sans la moindre raison objective. L’unique explication est que Erdogan et son entourage ont conçu un stratagème visant à alimenter l’insécurité dans le pays et à présenter l’AKP comme le défenseur du pays contre le terrorisme en prévision des nouvelles élections qui, espère-t-on dans les milieux islamistes et gouvernementaux en Turquie, donneraient de nouveau la majorité absolue au parti de la justice et du développement dont il a bénéficié durant les treize dernières années. En concevant leur stratagème, Erdogan et son entourage partent de l’idée qu’un gouvernement en guerre verra forcément les rangs se serrer autour de lui et remportera par conséquent haut la main les prochaines élections. Mais ce calcul risque de s’avérer faux et les espoirs que les islamistes ont bâti sur de telles assertions risquent de s’effondrer le premier novembre prochain, date proposée pour l’organisation des élections législatives. La Gezici Research Company, un Institut turc de sondages d’opinion, vient de rendre publics le mardi 18 août les résultats d’une enquête menée auprès d’échantillons d’électeurs. D’après cette enquête, le parti d’Erdogan recevrait aux prochaines élections 39,2%, enregistrant ainsi une baisse de 1,6% par rapport aux élections du 7 juin dernier. La même enquête montre que le parti républicain du peuple (CHP) recevrait 26,4% contre 24,95% le 7 juin, le parti du mouvement nationaliste (MHP) recevrait 16,2%, pratiquement inchangé, et le parti démocratique des peuples (HDP), pro-kurde, recevrait 14,1% contre 13,12% le 7 juin dernier. (1) Si ce sondage d’opinion se vérifiait dans les prochaines élections, ce serait un coup fatal pour l’AKP et surtout pour son chef Erdogan qui verrait du coup s’effondrer son grand projet de présidentialiser le régime politique turc et de gouverner le pays en monarque. Il verrait aussi probablement son fantasme de ressusciter l’empire ottoman s’évanouir. Que lui resterait-il alors ? La réputation d’un apprenti sorcier qui, pour assouvir les besoins pathologiques d’un égo surdimensionné, n’a pas hésité à diviser les Turcs, à créer délibérément une crise de grande ampleur dans son pays, à déclencher au nom de l’anti-terrorisme une guerre contre les Kurdes alors qu’il est en réalité le plus grand soutien des vrais terroristes, les coupeurs de têtes et les violeurs des adolescentes, c’est-à-dire daech et compagnie qui ont juré de mettre le monde entier à feu et à sang… Il ne s’agit pas ici d’une analyse inspirée par un anti-erdoganisme primaire, mais de la traduction d’une réalité perceptible dans la société turque. Car, dans le même sondage dévoilé le 18 août dernier par la Gezici Research Company, 56% des personnes interrogées pensent que Recep Tayyip Erdogan est personnellement responsable de la crise qui secoue le pays et de la situation de guerre qui s’aggrave dangereusement. Car, dans ses discours avant et surtout après les élections du 7 juin, Erdogan se comporte en politicien écervelé œuvrant à diviser le peuple turc et à nourrir les sentiments de haine et de rancœur. Ce n’est donc pas sans raison qu’une bonne partie du peuple turc pense que le président qu’ils ont élu le 10 août 2014 dès le premier tour est devenu un facteur de division des citoyens et un véritable danger pour le pays. C’est dire l’énormité des enjeux liés aux élections générales de novembre prochain. Pour l’intérêt de leur pays, les Turcs ne doivent pas donner une majorité parlementaire à celui que le journal électronique américain « Counterpunch » appelle « le président fauteur de troubles ». -------------------------------------------------------------------------- (1) http://www.todayszaman.com/national_latest-poll-reveals-falling-support-for-ruling-ak-party_396796.html

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