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Wednesday, September 15, 2010

De la première place à la onzième

On comprend les soucis de Barack Obama. Il a été élu président de la plus grande puissance de la planète, c'est-à-dire du pays numéro 1 dans le monde, il ne veut pas terminer son mandat (ou ses deux mandats) en laissant les Etats-Unis dans un autre classement. C’est pour cela qu’au début du mois d’août, pendant un grand meeting politique, il s’est égosillé devant la foule en répétant que « les Américains ne s’accommoderont pas avec la deuxième place » (Americans won’t settle for number 2 !).
Quelques jours plus tard, dans son édition du 12 août, le magazine « Newsweek » publie son classement des cents premiers pays du monde. Les Etats-Unis ne sont ni numéro un ni numéro deux. Pas même numéro dix. Ils sont classés 11eme pays du monde où il fait bon vivre. L’article de Michael Hirsh, journaliste de « Newsweek » qui commentait ce classement, a fait beaucoup de bruit aux Etats-Unis, relançant un débat entamé depuis quelques années sur « le déclin » de l’Amérique entre deux écoles, celle qui rejette l’idée de la dégringolade de la première puissance du monde, et celle qui estime qu’elle s’est placée déjà sur la pente descendante.
Plusieurs signes objectifs montrent que la deuxième école a raison, c'est-à-dire que les Etats-Unis ne sont plus ce qu’ils étaient et que, comme le soutient le Washington Post, les années 2000s sont « une décennie perdue ». En effet, qu’il s’agisse des indicateurs de l’économie, de l’éducation, de la santé, ou de la recherche, les Etats-Unis sont maintenant dépassés par d’autres pays. Le seul indice de puissance dont ils se prévalent encore est d’ordre militaire. Avec un millier de bases disséminées à travers le monde, et un budget de défense égal à celui de tous les autres pays de la planète, les Etats-Unis continuent d’exercer une influence inégalée bien au-delà de leurs frontières qu’aucun autre pays au monde ne peut la leur disputer.
Beaucoup de penseurs et d’historiens, et le premier d’entre eux Ibn Khaldoun, nous ont enseigné que les puissances et les empires suivent le processus évolutif du corps humain : ils naissent, grandissent, évoluent, atteignent l’apogée et entament le processus de vieillissement jusqu’à la mort et la disparition. Cette thèse s’est vérifiée à maintes reprises au cours de la courte histoire humaine et elle continuera à se vérifier, car si l’Homme n’est pas éternel, les empires qu’il crée sont à son image.
Si les puissances et les empires sont par définition temporaires, les hommes qui les dirigent interviennent de deux manières : soit ils retardent le processus de vieillissement, soit ils l’accélèrent. Tout dépend des politiques qu’ils suivent et des erreurs fatales qu’ils commettent ou qu’ils évitent.
Dans le cas de l’empire américain, que beaucoup d’historiens et d’analystes qualifient de « Rome moderne », si l’on considère la série de présidences américaines de Franklin D. Roosevelt à George W. Bush, on distinguera en gros deux sortes de générations. Une « grande génération », celle des Roosevelt et des Eisenhower qui ont retardé le processus de vieillissement de la puissance américaine, et « la génération des baby-boomers », pour reprendre l’expression de Thomas Friedman du New York Times, les Clinton et les Bush, qui a accéléré ce processus de vieillissement.
La « grande génération » était confrontée à des dangers réels, l’Allemagne nazie, l’URSS et le mouvement communiste international notamment, et les a surmontés victorieusement. Les Etats-Unis ne s’étaient jamais sentis aussi revigorés et aussi admirés qu’en 1945 et 1991, c'est-à-dire aux lendemains de la deuxième guerre mondiale et de l’effondrement de l’URSS. Les secrets de ces deux grands succès américains étaient la sagesse politique de la « grande génération » et sa capacité à convaincre le peuple américain de la nécessité de faire des sacrifices.
La « génération des baby-boomers » était, elle, confrontée à des dangers imaginaires inventés et amplifiés par des courants d’idées qui relevaient plus de la pollution politique que de la stratégie digne des grandes puissances. Pire encore, l’extraordinaire mobilisation militaire contre ces dangers imaginaires était financée non pas par les sacrifices consentis par le peuple américain, mais par les emprunts à l’étranger.
Cette décision d’engager des guerres destructrices à crédit pour confronter des dangers imaginaires est révélatrice de la frivolité et de l’immaturité de la « génération des baby-boomers » qui, en se trouvant accidentellement aux commandes de la plus grande puissance du monde (George Bush a été « élu » par cinq juges de la Cour suprême contre quatre), a fortement contribué à l’accélération du processus de déclin de la puissance américaine. Les Etats-Unis ne s’étaient jamais sentis aussi affaiblis et aussi détestés qu’en 2003, c'est-à-dire au lendemain de l’agression gratuite contre l’Irak.
Une autre différence fondamentale sépare la « grande génération » de celle des « baby-boomers ». Celle-là travaillait en étroite collaboration avec de vrais capitaines d’industrie et de réels créateurs de richesses. Celle-ci a aidé et encouragé l’émergence d’une espèce de spéculateurs qui, au lieu de créer des richesses et des emplois, préfèrent jouer au poker menteur à Wall Street. Un jeu dangereux qui explique dans une large mesure la grave crise financière de l’automne 2008 et dont les Etats-Unis ne se sont pas encore remis.
Il est bien évident que tous ces éléments ne peuvent échapper à un homme aussi brillant que Barack Obama. Son accès d’éloquence concernant le refus des Américains de s’accommoder avec la deuxième place relève plus de la politique politicienne si l’on peut dire que d’une volonté sérieuse de remettre l’Amérique sur la pente ascendante. En d’autres termes, Obama a un besoin impérieux de gagner les élections de mi-mandat de novembre prochain. Et il est normal qu’il dise aux Américains tout ce qu’ils aiment entendre. Qu’ils sont toujours « number 1 » alors qu’ils sont « number 11 ».

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